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« Il faudrait que chacun ait une famille paysanne parmi ses amis »
Jeter des ponts entre le grand public et l’agriculture, expliquer les enjeux du monde paysan, vulgariser… C’est l’objectif du Service d’information agricole alémanique, LID - dont AGIR est le pendant romand -, depuis plus de 80 ans. En marge de son assemblée générale, jeudi 27 août, le LID organise un débat sur les polémiques, très émotionnelles, qui opposent régulièrement le monde agricole aux citadins. Il est intitulé : « Protection des plantes, élevage et autres : où mène cette polarisation ? » Nous avons profité de l’occasion pour interviewer son directeur, Markus Rediger.
Comment voyez-vous le rôle du LID, aujourd’hui ?
Nous vivons dans un monde de plus en plus citadin. Certains enfants n’ont même jamais vu une poule. Notre but est donc de jeter des ponts entre la ville et la campagne. Les consommateurs sont demandeurs de ce genre d’informations, même s’ils s’intéressent surtout à l’agriculture quand une polémique surgit. Nous diffusons des articles en lien avec l’actualité, mais nous traitons également des sujets de fond ; nous expliquons ce que fait l’agriculture aujourd’hui, comment on y travaille, etc. Les médias sont notre principal public cible. Nous sommes un peu l’ATS de l’agriculture, nous produisons une information susceptible d’intéresser les journalistes, dans l’immédiat ou plus tard, et qui peut également servir de background. Les médias sont notre caisse de résonance.
Comment la population perçoit-elle le monde agricole en 2020 ?
Il y a un gros décalage entre le comportement des consommateurs et ce qu’ils réclament. A les entendre, ils achèteraient tous bio. Mais dans la réalité, 80 à 90% ne le font pas. Si les gens votaient, tous les jours, au moment où ils font leurs courses dans les magasins et non pas, une seule fois, face avec leur bulletin de vote, les choses seraient plus conformes à la réalité. Les agriculteurs sont prêts à produire ce que souhaite la population, mais il faut que cette dernière soit réaliste et qu’elle accepte d’en payer le prix.
Comment faire pour arriver à cette prise de conscience ?
Idéalement, il faudrait que chacun ait, parmi ses proches, une famille paysanne. Lorsqu’on connait bien quelqu’un et ses problématiques, les jugements changent. Aujourd’hui, quand on vote sur le loup, en tant que citoyen zurichois, on n’a aucune idée de ce que vit l’agriculteur dans les Grisons, avec son troupeau. Idem quand on n’est pas confronté aux problématiques des agriculteurs, en lien avec la météo et les ravageurs, on ne peut pas comprendre l’utilité des produits phytosanitaires. On vit dans des mondes différents. Le dialogue est primordial. Au LID, nous sommes actifs dans l’information digitale, mais également sur le terrain, avec des programmes tels que les Journées portes ouvertes, les "Visites d’étables" ou encore les lignes téléphoniques avec des agriculteurs. Comme nous constatons également que les agriculteurs connaissent souvent peu la vie en ville, nous voulons construire des ponts dans les deux sens.
Le Covid-19 a, à sa manière, contribué à ce rapprochement. Pourtant, on observe à nouveau une forte polarisation entre le monde agricole et la population, avec notamment la loi sur la chasse, les produits phytosanitaires ou le bien-être animal. Cela vous surprend-il ?
Les agriculteurs ont effectivement bénéficié d’une forte reconnaissance de la part du public durant la période du semi-confinement et les ventes des marchés à la ferme ont explosé. Toutefois, il est encore trop tôt pour savoir ce qu’il en restera à long terme. En revanche, les problématiques agricoles, qui sont souvent très émotionnelles, reviennent à la Une des médias qui en ont fini avec les gros titres sur le Corona. Plutôt que d’apaiser les tensions, ils contribuent à alimenter les polémiques en relayant, par exemple, les interventions d’activistes qui s’infiltrent par effraction dans des exploitations, y compris dans des élevages qui respectent les règles et les lois afin de les dénoncer avec des images défavorables. Cela ne fait qu’attiser les clans. J’aurais envie de dire : « Au lieu d’entrer par effraction, la nuit, discutez en plein jour ! »
Propos recueillis par Pascale Bieri/AGIR