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« Le vin, c’est quand même plus agréable à vendre que de la lessive ! »
Après toutes vos années à la tête de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, comment s’est déroulée votre arrivée à l’Office des vins vaudois en 2011 ?
Jean-Claude Mermoud, qui était Conseiller d’Etat à l’époque, m’a demandé si ça m’intéressait. Il m’a dit que c’était quatre séances par année. Je me suis dit : « ça va, ça m’intéresse ». Mais les Conseillers d’Etat, ils mentent aussi. Il m’a roulé! (rires) J’ai très vite compris que cela prendrait un peu plus de temps que ça.
Pourquoi il a pensé à vous, selon vous ?
Moi, on m’a toujours pris pour faire le nettoyage, que ce soit à l’ECAL, au 700ème. On m’a toujours donné des jobs un peu bizarres. Je suis persuadé qu’on m’a donné des jobs pour que je me casse la gueule, pour me faire taire après! (rires).
Qu’est-ce que vous avez voulu mettre en place ?
Quand je suis arrivé là, je me suis dit : « bon, et bien je vais appliquer la même théorie qu’à l’ECAL : on va être connu à l’extérieur et on aura des retombées à l’intérieur. Et c’est pour ça que j’ai créé cette espèce de joint-venture avec Hublot, avec qui j’ai pu vraiment promouvoir les vins vaudois, parce que les ressources financières manquaient ».
Pourquoi ?
Les ressources, à la base, elles proviennent des vignerons qui paient en fonction de la surface en mètres carrés et des litres encavés. Tous les vignerons paient. Sauf que, à mon arrivée, on devait emprunter 1 million au début de l’année pour payer les factures et les salaires, parce que l’argent des cotisations ne rentrait pas. Ce n’était pas possible de fonctionner comme ça. Alors j’ai changé les choses, j’ai fait en sorte que l’argent rentre. Alors, forcément, on n’est pas toujours très apprécié avec nos rappels à 10 jours, à 3 jours, et puis nos poursuites. Il y en a qui rouspètent, parce que le vigneron, il faut dire la vérité, c’est un peu ronchonneur. Mais je me suis assez bien débrouillé avec eux, parce que, quand quelqu’un rouspétait, je l’appelais et je lui disais : « vous êtes où ? Ah, là, ok. Alors mettez une bouteille au frais, j’arrive dans une heure ! ». Et puis j’arrivais, on discutait, et l’histoire était réglée.
En 2015, vous avez dû faire face à pas mal de critiques.
Une équipe a commencé à se plaindre. On nous a collé la commission des finances du Grand Conseil pour nous contrôler. Ce n’est jamais très agréable, mais bon, j’ai l’habitude, on m’a contrôlé partout où j’ai passé, et ils n’ont jamais rien trouvé. Je crois que les Vaudois, d’une manière générale, pas que les vignerons, ils n’aiment pas tellement les gens qui parlent beaucoup, les gens qui s’affichent, les têtes qui dépassent. Donc c’était parfois difficile de travailler avec eux. Mais, au final, je me suis quand même bien entendu avec les gens, parce que le vin ce n’est pas un produit comme les autres. C’est quand même plus agréable à vendre que de la lessive !
Vous avez aussi cherché à développer le marché alémanique.
Oui, on a fait énormément. On est à la Weltklasse ou encore au cirque Knie. On a fait beaucoup de foires dans des villes que je ne connaissais même pas, comme Wil. Le problème, c’est que certains vignerons aimeraient qu’on leur amène des Suisses allemands, avec des Mercedes, devant leur porte, pour qu’ils puissent charger la voiture. Ce n’est pas le but de l’opération.
Et le marché asiatique, c’est vraiment l’eldorado pour les vins vaudois ?
On a fait un effort énorme sur l’étranger et sur l’Asie en particulier : Hong Kong, Shanghai et surtout le Japon avec notre partenaire local, le Club Concierge. Ce dernier achète quand même 20 000 bouteilles par année. Et le Vaudois qui a le restaurant Napa à Shanghai, il achète 10 000 bouteilles. Donc s’il achète du vin, c’est qu’il se vend. Au Japon, on est dans 37 restaurants labélisés Chasselas. On pourrait faire encore plus, mais il faudrait une personne qui s’occupe de ça à plein temps, mais aussi des vignerons qui soient d’accord d’y aller, de parler anglais pour présenter leurs vins.
À vous entendre, les vignerons ne seraient pas très bons pour la promotion…
Ils ne savent pas très bien faire. Mais pas tous, bien sûr. Il y a maintenant une nouvelle génération qui est incroyable. Ce sont des jeunes, comme les frères Dutruy, les Massy, les Monachon, par exemple. Ils ont tous fait Changins (ndlr : la Haute école de viticulture et œnologie) et ils ont voyagé, ils ont fait des stages à l’étranger, au Chili, en Australie, en Californie, etc. Donc ça leur donne une autre étoffe, d’autres connaissances. C’est une bonne chose que les jeunes arrivent avec de nouvelles manières de faire et avec les contacts qu’ils ont eu ailleurs.
À ce propos, quel conseil donneriez-vous à un jeune vigneron ou une jeune vigneronne qui débute ?
Les vignerons ont parfois une dizaine de vins différents. Moi je lui dirais de faire trois ou quatre produits, bien faits, et de les promouvoir. Ce qui est intéressant, c’est de donner un peu de sa personnalité, d’aller voir les clients. Je connais des vieux vignerons comme Louis-Philippe Bovard qui se promène dans toute la Suisse avec sa voiture et des bouteilles, et qui va voir les grands bistrots. Il a 82 ou 83 ans. J’ai une grande admiration pour lui. Donc le jeune vigneron, il doit faire du vin, mais il doit aussi faire de la promotion. Un bon exemple, c’est Cyril Séverin du Domaine de Daley. Lui, il mise sur l’Asie et il vend un tiers de sa production là-bas. C’est quand même énorme quand on sait que l’on exporte au total que 2% à l’étranger.
Un mot sur votre successeur, Michel Rochat ?
Je le connais bien puisqu’on a travaillé ensemble. Il était avec moi dans le comité directeur des hautes écoles spécialisées. C’est fantastique qu’il ait accepté, parce qu’il tient une grosse maison, l'Ecole hôtelière de Lausanne. Avec tous ses contacts, c’est une bonne chose. Ça sera un autre style, parce que moi j’étais un président qui est exécutif, je suis sur place, je lis journal, je gueule au septième étage, voilà… on m’entend. Lui, ça sera différent, on devra aller chez lui, monter à l’Ecole hôtelière. Je crois que c’est surtout la Suisse alémanique qui l’intéresse, et il a bien raison, parce qu’il faut que cette région consomme plus et surtout plus de vins vaudois.
Alors, qu’allez-vous faire maintenant ?
Je vais me reposer ! (rires). Je travaille toujours pour Hublot. Le partenariat était entre la marque et moi, et non avec l’Office des vins vaudois. Donc, maintenant, on a d’autres idées, autour du patrimoine, des vins, des murs de vignes qui coûtent très cher à refaire. On va essayer de faire quelque chose là autour. On est en train d’y réfléchir. Et puis je suis le président du jury international du Hublot Design Prize. Enfin, j’ai toujours mon travail photographique, avec mon dernier ouvrage « My Coulourful Life ». J’ai des expositions à venir au Japon et au Mexique. Il va falloir travailler. Je n’ai pas l’intention d’arrêter.
Propos de Pierre Keller recueillis par Loïc Delacour/AGIR
Extrait vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=FkOAW54ZYv4