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Les articles d'AGIR
L’élevage porcin à ciel ouvert
À Vullierens, dans les hauts de Morges (VD), les cochons vivent dehors. Ils courent dans les prés, fouillent la terre ou se vautrent dans la boue. Des scènes inhabituelles dans le paysage agricole suisse, où l’élevage porcin se pratique généralement à l’intérieur de bâtiments, souvent avec un accès à des terrasses, mais très rarement dans les champs. Rudolf Steiner, agriculteur de 59 ans, élève, quant à lui, ces ongulés exclusivement en plein air, depuis 27 ans, en accordant une place centrale au bien-être animal. Un choix qu’il n’a toutefois pas fait par conviction, au départ, mais par nécessité.
A la fin des années 1990, quand le jeune agriculteur reprend l’exploitation familiale de Vullierens, "la ferme en Croix", la situation économique est tendue. Ce domaine de 20 hectares, acquis par ses parents en 1971, repose alors sur les grandes cultures. Mais rapidement, Rudolf Steiner voit le prix des céréales s’effondrer. Le blé chute de 100 à 70 puis à 50 francs le quintal, ce qui le pousse à chercher de nouvelles voies. "Dans l’agriculture, il faut faire preuve de résilience si on veut s’en sortir", dit-il.
Un élevage de 900 porcs par an
Du coup, il envisage de construire une porcherie classique en dur. Mais son projet n'est pas soutenu par les autorités locales. "Plutôt que d’abandonner, j’ai décidé d’élever des cochons à l’extérieur, en installant un tunnel souple comme abri. C'était simple et ça ne demandait pas d'infrastructure particulière", explique-t-il.
Les premiers animaux sont écoulés via la grande distribution, puis grâce à un partenariat avec une boucherie locale. L'éleveur agrandit alors son dispositif et passe à trois tunnels. Mais en 2011, coup de tonnerre: une crise porcine, due a une surproduction de viande de porc en Suisse, et le retrait de la boucherie partenaire le plongent dans une impasse. "Je me suis retrouvé avec 500 bêtes sur les bras, sans débouché. J’ai failli tout arrêter."
Toutefois, peu après, il relance son activité avec Silvestri SA, une entreprise située à Lüchingen (SG) et spécialisée dans les filières valorisant le bien-être animal. Aujourd’hui, l'agriculteur élève environ 900 porcs par an, dont 240 sont destinés à la vente directe.
Une viande issue d’un mode de production exigeant
La qualité gustative de la viande séduit une clientèle qui est également attentive à la provenance des produits. "L’élevage en plein air permet d’obtenir une viande plus tendre, plus goûteuse, et légèrement persillée", souligne Rudolf Steiner. Les animaux, actifs en permanence, développent une musculature harmonieuse et une répartition équilibrée du gras. Leur comportement naturel est respecté: ils passent leurs journées à retourner le sol, se vautrer dans la boue ou courir en petits groupes. Des activités qui influencent directement la qualité de la viande.
Mais cette liberté a un coût. Chaque animal bénéficie de 200 m² de surface durant les cinq mois d’engraissement. "Cela représente une contrainte importante", reconnaît l’éleveur. Les cochons restent sur la même parcelle tout au long de cette période, qu’ils retournent entièrement. "À la fin, le sol est labouré de fond en comble, il ne reste plus un brin d’herbe."
Les parcs doivent ensuite être mis au repos pendant deux ans, pour respecter les cycles naturels et limiter les risques sanitaires. Durant cette période, Rudolf Steiner les valorise en fumure. "C’est une façon de nourrir les sols, mais cela suppose d’avoir suffisamment de surface pour permettre la rotation." Les tunnels souples, eux, sont démontés, déplacés et désinfectés à chaque cycle. Une logistique exigeante, qui s’ajoute à la gestion quotidienne des animaux.
Avec ses 40 hectares, l’exploitation peut accueillir environ 120 cochons par parc, sur des surfaces de chaque fois 2,4 hectares. "Chez nous, ça fonctionne, car on a l’espace. Mais ce type de production n’est pas extensible. À grande échelle, il est difficilement transposable."
Un marché de niche
Cette organisation limite mécaniquement le nombre d’animaux produits, et donc la rentabilité par volume. La viande de porc plein air reste un marché de niche, tourné vers une clientèle sensible au bien-être animal et de l’alimentation locale. "Ce type d’élevage ne peut pas remplacer la production intensive. Il est complémentaire, répondant à une demande ciblée", souligne Rudolf Steiner.
Pour assurer la viabilité de son activité, l’éleveur s’appuie notamment sur la vente directe, qui représente aujourd’hui une part importante de son activité. Les consommateurs se déplacent pour voir les animaux, s’informer sur leur alimentation et découvrir les conditions d’élevage. "C’est une relation de proximité qui crée de la confiance et qui permet de fixer des prix équitables, sans passer par des intermédiaires."
Rudolf Steiner a par ailleurs toujours en tête la fragilité du monde agricole, et mise à fond sur la diversité des revenus. Il cultive du blé, de l’orge, du maïs, du triticale, des racines d'endives et du colza en partie transformé en huile maison. Il élève également des poulets fermiers et vend des œufs frais "Pour moi, cette variété d’activités est indispensable. Si un secteur est en crise, les autres prennent le relais. Cela rend l’exploitation plus robuste."
La fièvre porcine, un risque bien réel
Malgré cet équilibre, une inquiétude demeure: l’arrivée potentielle de la peste porcine africaine (FPA) en Suisse. Cette maladie virale, hautement contagieuse, circule déjà dans plusieurs pays européens, notamment via les populations de sangliers sauvages. "Si elle touche mon cheptel, cela pourrait signifier la mise en quarantaine et l’abattage complet. Ce serait dramatique."
Pour limiter les risques, l’éleveur a renforcé ses mesures sanitaires. Il a installé une double clôture autour des parcs afin d’éviter tout contact entre ses animaux et la faune sauvage. Il a également souscrit une assurance spécifique, destinée à couvrir les pertes économiques liées à une mise à l’arrêt de l’exploitation.
Pascale Bieri/AGIR
Journée Portes Ouvertes, le 26 mars de 9h à 16 h, à La Ferme en Croix à Vullierens (visite de l'exploitation et des animaux, animations diverses)