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Les "Nouvelles routes de la soie": un boulevard pour les espèces invasives, selon une récente étude chinoise
29.01.2019 – Si l'histoire des espèces invasives est aussi ancienne que celle du commerce mondial, des chercheurs chinois avertissent que les "Nouvelles routes de la soie" développées par Pékin risquent d'accélérer ce fléau comme jamais auparavant.
(ATS/AGIR) - Les Nouvelles routes de la soie, officiellement "la Ceinture et la Route", sont un gigantesque projet chinois d'infrastructures routières, ferroviaires et portuaires couvrant une centaine de pays, non seulement en Asie mais également en Afrique et en Amérique du Sud et centrale. Au total, 123 pays y participent, soit la moitié de la planète.
Yiming Li, de l'institut de zoologie de l'Académie des sciences chinoises, avec des collègues chinois et un universitaire à Londres, a alors développé un modèle croisant les régions du monde incluses dans les Nouvelles routes de la soie et leurs conditions climatiques et d'habitat, pour prédire où 816 espèces vertébrées étaient le plus susceptibles de s'introduire, et d'y rester. Leur étude, publiée dans la revue Current Biology, identifie quatorze grands "points chauds d'invasion" où le risque est élevé que des espèces étrangères s'implantent.
Sur leur carte, les points rouges apparaissent sur tous les continents. D'abord en Asie, et notamment dans l'archipel indonésien, au Vietnam, aux Philippines, mais aussi dans le sud du Chili, qui commerce de plus en plus avec la Chine, dans les Caraïbes. Sur le pourtour méditerranéen, dans des pays qui ont officiellement rejoint le projet, comme l'Algérie, où le climat est favorable.
En Afrique, le Nigeria et la Cameroun clignotent eux aussi tant il y a de personnel chinois s'y rendant pour des chantiers. "Les six grands couloirs économiques nous inquiètent le plus", ajoute Yiming Li, en parlant des grands couloirs traversant l'Asie jusqu'à l'Europe de l'Est. "Il y a une forte probabilité d'introduction d'espèces et les conditions locales sont favorables à leur survie".
Certes, "les invasions se produisent partout, tout le temps", explique Tim Blackburn, professeur de biologie de l'invasion à l'University College de Londres, coauteur de l'étude. Les Européens ont exporté le rat en Amérique. Au début du XXe siècle, un champignon asiatique a éradiqué les forêts de châtaigniers d'Amérique du Nord. En Nouvelle-Zélande, à cause de l'homme, le nombre d'espèces de mammifères terrestres est passé de zéro... à 25, dont rats, souris, hérissons, furets. Mais avec les Nouvelles routes de la soie, "ce sera différent à cause de l'ampleur des échanges commerciaux prévus", prévient Tim Blackburn. Car, tout comme les insectes et les champignons, les rats, les grenouilles, les serpents ou les oiseaux peuvent voyager dans les camions, les trains, les navires et même les avions. Sans compter les espèces transportées sciemment comme les animaux domestiques, qui sont ensuite lâchés dans la nature.
Déjà, l'oiseau appelé martin triste (Acridotheres tristis), venu de Russie et du Kazakhstan, a envahi le Xinjiang, où cet oiseau marron détruit les nids des volatiles locaux. La grenouille-taureau (Lithobates catesbeianus) dévore depuis des années les amphibiens chinois locaux mais aussi ailleurs sur la planète, c'est "l'amphibien le plus invasif du monde", dit Yiming Li.
La solution s'appelle "biosécurité", arguent les chercheurs. Il faudrait que les autorités instaurent des mesures de contrôle à bord des camions, de surveillance des conteneurs, des quarantaines ou encore des programmes de protection de la biodiversité.
L'analyse publiée en fin de semaine dernière "est forcément un peu grossière", commente Jeffrey Dukes, professeur de foresterie et de ressources naturelles à l'université Purdue aux Etats-Unis. Elle ne s'intéresse pas en détails à quelle espèce pourrait s'implanter dans telle ou telle région. Mais "elle permet de sonner l'alarme", loue cet expert. "Les espèces envahissantes sont très difficiles à éradiquer", explique-t-il. "Si on les bloque dès le départ, on s'économisera beaucoup de problèmes et cela nous coûtera moins cher que d'essayer de s'en débarrasser ensuite".
Auteur : ATS/AGIR
