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Les articles d'AGIR
Composter c’est gagner, sans plastique SVP!
Ici, le compost, on le pèse, le trie, le broie, le brasse une fois par semaine, et on l’arrose même pour favoriser sa décomposition. Mais s’il vous plait, sans emballage ni étiquettes plastiques! A la Coulette, sur les hauts de Belmont-sur-Lausanne (VD), sont acceptés comme clients: les paysagistes, les services communaux des espaces verts, les particuliers et les agriculteurs. La moitié du volume provient des communes (25 au total), l’autre moitié des entreprises (une centaine dans un rayon de 25 kilomètres). Et tous paient pour ce service bien sûr, entre 40 et 140 francs par tonne en fonction des matériaux. Les habitants de certaines communes partenaires disposent même de boxes dédiés, en vertu de la taxe sur l’enlèvement des déchets.
Le roi de l’atlantic giant
"20'000 tonnes de déchets verts nous parviennent chaque année, à quoi s’ajoutent 2'000 tonnes de souches de bois, un peu moins de 10% de notre volume." Celui qui nous fait la visite est un visage que vous avez sans doute croisé dans les médias: en 2020, 2023 et 2024, Simon Favre a remporté le championnat suisse de pesage de courges et légumes, en présentant, lors des deux dernières éditions, des courges «atlantic giant» de 675 kilos. "C’était une plaisanterie avec mon oncle, mais à la fin ça m’occupe 10-15 minutes par jour et par courge durant l’été. Chacune a besoin de 100 mètres carrés de terrain, il faut l’entretenir, enlever toutes les autres pousses, se prémunir des ravageurs..." Et le potiron alimente ses vaches en bout de chaîne, car ces variétés n’ont pas beaucoup de saveur.
Entre engrais et compote
Mais revenons au compost, dans lequel les épluchures de courges sont bien sûr bienvenues. Il tire son nom du latin compostus, qui signifie mêlé, composé, mis ensemble. L’anglais le désigne comme engrais. Et nos compotes sucrées partagent la même origine. Sur le site de la Coulette, après différentes étapes de contrôles, les machines entrent en action. Les déchets sont défibrés par un broyeur à marteaux. La matière ainsi obtenue est disposée en rangées, ou andains, de près de 3 mètres de haut. La fermentation de ces tas, à plus de 65°c, garantit la destruction des graines de mauvaises herbes qui pourraient être mélangées au futur compost. En contrôlant la température, les employés déterminent le moment du brassage ou de l’arrosage, car une bonne humidité et une chaleur suffisante sont indispensables à l’activité des bactéries, pour qu’elles travaillent à la décomposition efficacement.
Le compost n’est pas un terreau
Au bout de 3 à 6 mois de maturation, la matière obtenue est criblée, à savoir tamisée à différentes tailles, en fonction de sa future utilisation et pour enlever les indésirables. "Le compost est un super produit qui a beaucoup d’avenir, car il permet de fermer la boucle de ces déchets verts, de toutes ces végétations qu’on entretient partout", défend fièrement Simon Favre. "Ici on en fait un engrais pour le sol des agriculteurs ou pour nos potagers, et le produit fini contient beaucoup de carbone qui retourne au sol. Attention ce n’est pas un terreau, c’est beaucoup trop riche, mais c’est un additif pour votre terre, pour enrichir un terrain qui en a besoin. Il s’agit d’en disposer 4-5 centimètres sur le sol au printemps, puis de l’incorporer avec un motoculteur, et vous êtes bons pour une année."
"Chaque terre peut redevenir fertile"
"Souvent des gens veulent acheter de la terre au motif que ça ne pousse pas bien dans leur jardin. Moi je leur réponds qu’ils feraient mieux de chercher à améliorer leur terre, avec du compost ou du fumier. Chaque terre peut redevenir fertile. Si vous avez trop d’argile, vous rajoutez un peu de sable et du compost, ça ramène de la matière organique tout en aérant le mélange. Si votre terre est trop sableuse, vous rajoutez de la matière organique pour mieux retenir l’eau et moins arroser. En tout cas, il faut essayer d’améliorer sa terre plutôt que de la changer, car c’est ça qui fait du sens. Et le compost est un excellent levier. Grâce à lui, on incorpore un matériau vivant, plein de micro-organismes et de bactéries utiles au sol, et plein de nutriments pour les futurs végétaux qui y pousseront."
Cap familial sur les biodéchets
Notez que cette philosophie n’a pas germé ici par hasard. Les grands-parents, Laurette et Philippe, puis les parents Gisela et Marc-Etienne, ont inculqué le message aux petits-enfants, Gilles (en maîtrise d’agriculteur), Simon (ingénieur agronome), Mona (diplômée d’une école hôtelière) et Yves (coureur de demi-fond à haut niveau, sur le point de finir son master HEC). "Le domaine agricole était trop petit", poursuit Simon, "il n’y avait pas assez de revenus pour faire vivre deux familles, donc mon grand-père et mon père ont saisi l’occasion d’une loi, qui interdisait de brûler les déchets verts de jardin et obligeait à composter, pour proposer de monter une place de compostage régionale."
Un marché mûr
Ils se sont approchés de six communes de l’Est lausannois pour proposer leurs services, et ont obtenu le mandat, idéalement implantés en bordure de la gravière de la Claie aux Moines, qui générait depuis plus de trente ans un intense trafic poids lourd, autour de 20'000 véhicules par jour sur l’axe Lausanne-Oron. "Cinq ans de démarches pour obtenir une affectation spéciale compostage de nos terrains agricoles, et une ouverture le 18 avril 1994", complète Gisela Favre, actuelle directrice générale après les décès de Marc-Etienne puis Philippe. "Notre étude portait sur un volume de 6'000 tonnes traitées annuellement, mais aujourd’hui on a atteint les 25'000 tonnes. Il n’y en aura pas davantage, les déchets verts sont désormais tous triés dans le canton de Vaud… même s’ils pourraient être mieux triés par les particuliers eux-mêmes!"
Le plastique en horreur
Car on en vient à ce qui pourrait clairement être amélioré: à l’arrivée des conteneurs dits «de porte à porte», qui ramassent les déchets de cuisine des villes de la région, un immense et fastidieux tri est effectué par une pelleteuse, qui enlève plastique par plastique. "On essaie d’en enlever le maximum à l’entrée du tas de compost, sachant qu’on fera un deuxième tri à la sortie, lors du tamisage", explique Gisela. "Mais on ne peut pas garantir à 100% qu’il n’y aura plus du tout de plastique, et c’est donc un appel que nous lançons aux particuliers: enlevez tout ce que vous pouvez, ces emballages superficiels et ces petits autocollants sur les fruits pour nous signaler qu’ils ont tel ou tel label. Ne mettez pas non plus ces sacs biodégradables, mais uniquement ceux qui sont spécifiquement marqués comme compostables."
Le bon sens change tout
"Avant la taxe au sac, le compost était plus propre car il ne concernait que des gens convaincus", poursuit-elle. "Et même s’il y a encore 25% de déchets organiques dans les sacs poubelles qui finissent à l’incinération, nous ne sommes pas intéressés à les récupérer, car ils sont trop sales, trop mélangés à du plastique." Pour son fils Simon, il s’agit "d’une prise de conscience indispensable en tant que société". "Comme agriculteurs, on a du plastique partout sur le bord de nos champs, mais on en voit aussi au bord des lacs. Ce n’est pas un problème limité au compostage, mais un problème général dont chacun doit s’emparer."
Rester agriculteurs
La famille Favre n’a pas l’intention d’abandonner ses fondamentaux. "Même si nos entreprises sont complètement séparées, on a encore une ferme laitière, qui emploie 3 EPT (équivalents plein temps), tandis que pour la compostière c’est 7 EPT", détaille le fils. "On a actuellement 120 têtes de bétail dont 60 vaches laitières pour du lait d’industrie, on fait du blé, du colza, de l’orge, du maïs, ainsi qu’un hectare de courges en vente directe, qui nous demande beaucoup de travail, je l’ai dit, mais nous apporte du contact direct avec la clientèle… et parfois un supplément de notoriété!" L’avenir? Cela dépendra de la Politique Agricole 2030 et des soutiens politiques.
Et répondre à la demande
"On a envie de continuer à faire du lait et, pour la compostière, de développer le bois pour le chauffage à distance, peut-être un jour le biogaz, ainsi que notre gamme de produits, en fonction des attentes du marché", résume Simon. "Celui qui marche le mieux en ce moment, c’est notre terre criblée enrichie, une terre de chantier débarrassée des gros cailloux et enrichie en compost. Par manque de place on n’en a jamais assez pour les communes et les paysagistes." Compost, terre criblée enrichie et copeaux de bois: La Coulette propose ainsi trois produits à la vente directe aux particuliers, à raison d’1 franc le bidon de 20 litres, en vous faisant confiance pour payer honnêtement ce que vous avez pris. Vous y trouverez aussi un terreau universel de leur composition, mis en sac par l’entreprise Ricoter à Aarberg (BE).
Etienne Arrivé/AGIR
Un temps précurseurs pour le charbon végétal:
La Coulette aura aussi été pionnière en Suisse romande, jusqu’en 2016, pour la production de charbon végétal. Utilisant un prototype de la société allemande Pyreg GmbH, elle tentait de transformer des résidus de bois par pyrolise, à très haute température et en l’absence d’oxygène. "Mais ce n’était pas encore au point et ça nous a valu beaucoup de nuits blanches, à cause des messages d’alerte", résume Gisela Favre. "J’imagine qu’ils ont modernisé tout ça, mais à la suite du décès de mon mari, on a décidé qu’on ne voulait plus continuer."
Le charbon végétal peut être utilisé en tant qu’additif alimentaire pour les vaches, afin de réduire les gaz à effet de serre lors de leur digestion. S’il est répandu sur le sol des étables, il amoindrit les odeurs d’ammoniac. Enfin il augmente la teneur nutritive du lisier et du compost, et permet aux sols agricoles d’emmagasiner le CO2 pendant plusieurs siècles. L’office fédéral de l’énergie a ainsi attribué son Watt d'Or 2022 à la société Verora AG, un groupement d’agriculteurs des montagnes zougoises qui a rendu cette production de charbon végétal «viable».

