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Des chiens renifleurs contre le scarabée japonais
Le scarabée japonais a été repéré pour la première fois en Suisse en 2017 près de la frontière italienne, à Stabio et Mendrisio, dans le sud du Tessin. Aujourd’hui, il s’y est implanté et les autorités ont abandonné les tentatives d’éradication pour une stratégie de confinement. Mais ça ne s’arrête pas là. Ailleurs en Suisse, ce terrible ravageur venu d’Asie continue de gagner du terrain : en 2023, des foyers ont été confirmés en Valais et à Zurich ; en 2024, c’est Bâle qui est touchée. Et cet été, les premiers individus ont été capturés dans les cantons de Vaud et de Genève.
Si de nombreuses autres espèces invasives, végétales ou animales, ont déjà conquis la Suisse, la propagation de ce petit coléoptère d’un centimètre de long est particulièrement préoccupante, car il s’attaque à plus de 400 espèces végétales : maïs, soja, vignes, arbres fruitiers… La liste est longue. À l’âge adulte, la bestiole dévore les feuilles en ne laissant que les nervures, tandis que ses larves, enfouies dans le sol, rongent les racines. Par ailleurs, le scarabée japonais est quasiment impossible à éradiquer une fois établi. La seule stratégie efficace pour ne pas le voir s'implanter partout consiste donc à agir vite, notamment en détruisant les larves sous terre
Une idée originale pour agir vite
Encore faut-il trouver les sites de ponte. Dans ce contexte, un projet intéressant a vu le jour. Celui d’Aline Lüscher et Chiara Baschung, deux jeunes ingénieures en environnement formées à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW). Les deux jeunes femmes ont décidé de former des chiens pour détecter les larves du scarabée japonais, sous terre, et donc invisibles à l’œil nu.
« Avec Aline, on est toutes les deux passionnées d’éducation canine, c’est ce qui nous a rapprochées », explique Chiara Baschung. Durant leurs études, un professeur leur suggère d’explorer comment utiliserl’odorat canin pour répondre à un problème agricole. Cette idée séduit immédiatement les deux étudiantes qui décident de s’attaquer, plus spécifiquement, au scarabée japonais. Aline Lüscher en fait d’ailleurs son travail de Master. « Il y a beaucoup de nuisibles qu’il est important de détecter très tôt, avant qu’ils pondent ou se propagent. Les chiens ont un flair extrêmement puissant et, s’il y a de nombreux domaines où ils ont déjà fait leurs preuves - détection de stupéfiants, d’explosifs, de truffes ou encore de punaises de lit -, ils n’étaient pas utilisés dans ce secteur, du moins en Suisse», souligne Chiara Baschung.
Un flair inégalé face à un ennemi invisible
Cela étant, rechercher les larves du scarabée japonais est un vrai défi. Elles sont enfouies entre 5 et 20 centimètres sous le sol, et échappent à tout contrôle visuel. Pour les trouver, quand on a un soupçon, il est généralement nécessaire de retourner de larges zones de sol, un travail lourd, coûteux et destructeur. « À notre connaissance, il n’existe aucun autre moyen aussi efficace que les chiens pour trouver des larves sous le sol », souligne Chiara Baschung. A souligner toutefois que cette pratique est complémentaire aux pièges à phéromones utilisés pour capturer les adultes.
Des contraintes réglementaires et techniques strictes
Si ce projet est séduisant, sa mise en œuvre se heurte vite aux réalités du terrain. En Suisse, le scarabée japonais est classé organisme de quarantaine : un statut qui impose un contrôle strict de sa manipulation, interdit tout transport non autorisé et encadre sévèrement les expérimentations.
Avant de pouvoir approcher une seule larve vivante, il aura fallu un peu plus de deux ans pour que toutes les formalités soient réglées et qu’une autorisation, pour le moment restreinte, soit délivrée aux jeunes femmes par les autorités fédérales. Jusque-là, impossible de mettre les chiens en situation réelle.
Pour contourner cette contrainte, les deux ingénieures ont commencé par entraîner leurs chiens sur des tubes imprégnés de l’odeur des larves, préparés au Tessin ou en Italie. Ces supports, autorisés au transport, permettent aux canidés de mémoriser une «signature olfactive» précise, mais l’absence de conditions réelles - humidité, température, végétation, vent - limite l’apprentissage.
Un entraînement grandeur nature
Aujourd'hui - et depuis environ un an -, Aline Lüscher et Chiara Baschung disposent de l’autorisation officielle de manipuler le scarabée japonais. Ce feu vert, délivré sous conditions strictes, leur permet donc d’entraîner leurs chiens avec des larves vivantes, et non plus uniquement avec des supports artificiels.
Les séances doivent se dérouler dans des locaux fermés, en l'occurence les serres de la ZHAW, spécialement aménagés pour éviter tout risque de propagation de l’insecte. Les larves sont placées dans des dispositifs confinés et enterrées dans un substrat qui reproduit les conditions physiques du sol. La mission des chiens est de repérer leur «signature olfactive» malgré la profondeur et la présence d’autres odeurs naturelles.
Actuellement, sept chiens participent à l’entraînement. Les races sont variées : braque français, pointer anglais, kelpie, border collie, malinois, dalmatien… « Cette diversité est un véritable atout : chaque race a son style et son tempérament. Certains travaillent le nez collé au sol avec une grande précision, d’autres balayent l’air plus rapidement ; certains sont méthodiques et endurants, d’autres vifs et réactifs.» Ces approches complémentaires permettent aux deux ingénieures d’observer comment différents profils canins réagissent à la détection des larves dans des conditions variées et d’adapter l’entraînement en conséquence.
En attente des conditions réelles
Les premiers résultats sont jugés très encourageants : les chiens identifient les larves de manière fiable, même lorsque les effluves sont faibles ou masquées. Mais l’étape capitale reste à franchir : les confronter aux conditions réelles d’un terrain extérieur, avec sa végétation, ses variations de température, son humidité, les effets du vent et les perturbations sonores.
«C’est indispensable si l’on veut passer du laboratoire au travail opérationnel», insiste Chiara Baschung. «Tant que les chiens ne sont pas exposés à la complexité et à l’imprévisibilité du terrain, leur formation ne peut pas être considérée comme complète.»
L’urgence d’une intervention précoce
Face au scarabée japonais, agir rapidement est indispensable: chaque mois gagné peut limiter le risque d’une infestation massive. « Au Tessin, c’est trop tard ; une fois que les larves sont partout, il n’y a plus d’utilité à rechercher des foyers avec des chiens. Mais ailleurs, il y a encore une marge de manœuvre», assure Chiara Baschung.
Ainsi, dans les zones encore peu touchées, comme Vaud ou Genève, une détection ciblée pourrait permettre de traiter précisément les premiers foyers et d’éviter des interventions coûteuses et destructrices à grande échelle.
Vers un service spécialisé
À terme, les deux ingénieures aimeraient constituer une petite équipe d’intervention capable de se déplacer sur le terrain à la demande des agriculteurs ou des services phytosanitaires. En attendant, le projet reste mené sur une base bénévole, sans aucun financement public. Matériel, déplacements : tout repose aujourd’hui sur les ressources personnelles des deux ingénieures et sur quelques dons privés. « Tant que nous ne pouvons pas proposer un service pleinement opérationnel, il est difficile d’obtenir un soutien financier », reconnaît Chiara Baschung, qui espère que les résultats obtenus convaincront, à terme, des partenaires publics ou privés de soutenir cette initiative.
Pascale Bieri/AGIR
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