Main Content
Les articles d'AGIR
Féminin et masculin se soutiennent dans l’Histoire du vin
Un musée raconte le passé, les traditions, certes, mais, s’il est dynamique, il offre aussi une projection vers l’avenir. Et si de surcroît, bien que gardant ses quartiers dans un château fort immémorial, il se met à la page des préoccupations sociales et culturelles de son temps, alors là c’est un cas de figure extrême: on tend immédiatement l’oreille, on veut le voir ou le revoir, exactement comme on retournerait, après bien des années, dans un restaurant ayant, entre temps, revisité ses plats signatures.
Une «masterclass» sans guitare
Ainsi du château de Boudry, planté au-dessus du lac de Neuchâtel, ambassade du vignoble abritant à la fois l’œnothèque cantonale et son Musée de la vigne et du vin. La société en charge de ce dernier a enfin pu recruter, avec l’appui de la commune ainsi que du Canton, un nouveau conservateur (à 50%) en fin d’année dernière. Le choix s’est porté sur Simon Vouga, alors 29 ans, à l’issue d’une épreuve consistant à imaginer un concept d’exposition pour ce musée. Et le jeune historien, par ailleurs archiviste pour la Ville de Neuchâtel et guitariste des groupes de métal-rock Wall Down et Frères Ennemis, a tiré son épingle du jeu en proposant d’aborder les relations hommes-femmes dans le cadre viticole. Belle idée, mais il s’agit maintenant de la mettre en œuvre, avec une ouverture au public prévue cet automne.
Le genre des mots
"Je suis d’une famille de vignerons-encaveurs du village d’à côté, Cortaillod. Mon grand-père disait toujours qu’il fallait bien s’habiller devant la vigne, et il portait toujours une chemise pour s’y rendre. Mais pourquoi la personnifiait-il au féminin?" Questionner le genre des mots, leur étymologie, sera ainsi l’un des fils rouges pour le visiteur. "Quand on plonge dans les archives de la presse", poursuit Simon Vouga, "le terme vigneronne, par exemple, a été majoritairement utilisé comme adjectif. On dit une maison vigneronne, une année vigneronne, voire une bêche vigneronne, mais ce n’est pas un dénominatif de métier ou de personne comme vigneron. Je voudrais utiliser ce filtre du langage, des définitions, pour faire redécouvrir notre musée." En Romandie, des musées de la vigne et du vin, il n’en existe que deux autres, l’un à Sierre (VS) et l’autre au château d’Aigle (VD). "Qu’ils n’hésitent pas à se manifester s’ils pensent à des pièces qui pourraient nous être prêtées en lien avec cette question du genre!"
Un élan pour le féminin
A l’Université de Neuchâtel, Simon Vouga a eu pour professeur Kristina Schulz, une spécialiste de l’Histoire des femmes qui l’a particulièrement marqué. "Je n’ai trouvé que de rares bouquins dans ce domaine rapporté à l’Histoire de la viticulture. Je me suis dit que c’était une très bonne façon de rendre leurs lettres de noblesse à nos collections, pas assez connues et qui comportent des objets exceptionnels, en profitant de l’élan que l’on ressent sur ce thème un peu partout. Il y a ainsi aujourd’hui davantage de vigneronnes qui sont mises en valeur, mais elles ont toujours existé. On a des exemples de femmes qui dirigeaient des domaines au XVIIIe ou XIXe siècle, d’autres qui étaient à la cave ou s’occupaient de la taille, mais c’est une grille de lecture qu’on n’avait encore jamais eu dans nos murs."
Des rôles dictés par les circonstances
Pour avoir grandi dans ce milieu, ce dont le conservateur peut aussi témoigner, c’est que les relations hommes-femmes y sont principalement dictées par les circonstances de chaque vie. Dans sa famille, c’est sa mère, agricultrice, qui s’occupait de lui et de sa petite sœur, quand son père, qui a un CFC de viticulteur et une maîtrise d’œnologie, était à la vigne. "Mais pendant les vacances d’été, ça s’inversait, ma mère s’occupait de l’effeuillage des grappes tandis que mon père était à la cave. Situation qui se prolongeait pendant les vendanges. Donc tout dépend à la fois de votre formation professionnelle et de votre situation familiale."
Greffeur pour une perm à la maison
L’exposition l’illustrera par de multiples anecdotes. Par exemple en France, à la fin du XIXe siècle, quand il a fallu greffer toutes les vignes par crainte du phylloxera, il s’est créé un certificat de maître greffeur. Et ce papier donnait droit à un mois de permission, à l’armée, pour pouvoir aller greffer en hiver. "Assez logiquement, tous les vignerons vont faire ce papier pour pouvoir avoir un mois de perm à la maison. Que ce soit pour greffer ou pour travailler sur autre chose. Les femmes n’étant pas astreintes à l’armée, s’en est suivie une masse très explicable d’hommes affectés à cette tâche. Même s’il y aussi des femmes qui ont fait greffeur! C’est donc la structure de la société qui a influencé la répartition des rôles dans cette formation-là et, par extension, dans la vigne."
Passé pictural, outillage moderne
Sur les plus vieux tableaux du musée, des femmes font les vendanges, tandis que les hommes sont en charge des labours, des travaux hivernaux. Il y a ces quatre statuettes suisses, récemment acquises par l’association du musée, qui datent du XIXe siècle et montrent le vigneron, la vigneronne, dans leurs habits et avec des poses caractéristiques. "Les femmes ont un peu mal au dos avec leur brante (ou hotte) et un bouquet de fleurs", remarque le conservateur, "tandis que les hommes, pareillement équipés, se tiennent droits et fiers, appuyés à leur bâton. Pourtant les quatre portent le même chapeau, à peu près le même foulard, et assument le même rôle, en apportant les grappes jusqu’au char des vendanges. C’est purement décoratif, mais c’est représentatif d’un vivre ensemble, dans la vigne, à l’époque. Aujourd’hui les habits ont changé: vous verrez davantage de t-shirts AC/DC!"
Être mère dans les vignes
Ce qui a, en revanche, vraiment eu des répercussions sur la répartition des rôles, c’est l’outillage, ce sont les tracteurs à partir des années 1960. "Sans qu’il y ait de vraie rupture, disons que l’argument des travaux de force assurés par les hommes ne tient plus autant." La mère de Simon Vouga a écrit là-dessus. "Elle se satisfaisait d’un milieu lui permettant de passer beaucoup de temps avec ses enfants, parce qu’elle pouvait nous amener avec elle sur le terrain. Elle a vécu sa maternité de façon très indépendante grâce à ce métier de la terre. En marge de l’expo, j’aimerais pouvoir projeter un film qui décrit ce que c’est que d’être vigneronne en Suisse aujourd’hui, qui met en lumière des vigneronnes qui ont du succès. Mais sans pour autant faire de la politique: mon but est seulement de montrer qu’il y a une belle cohabitation entre hommes et femmes dans ce secteur."
Une mixité internationale
Une dernière remarque en attendant de visiter le résultat: quand on parle du travail de la vigne aujourd’hui, on évoque plutôt des saisonniers polonais que des femmes suisses… "Détrompez-vous, déjà la main d’œuvre est autant masculine que féminine, il y a beaucoup de femmes qui ont travaillé chez mes parents", précise Simon Vouga. "Des femmes d’ici, autant que des étrangères. Des Polonaises et Polonais, oui, des Italiennes et Italiens, des Portugaises et Portugais… Ce sont souvent des femmes au foyer, qui arrivent à organiser leurs vies autour de ces emplois, et se trouvent un logement au village pour la saison, ou au camping, parfois dans des abris mis à disposition. Il y a plein de cas de figure, mais, si l’on met un instant de côté les très graves difficultés structurelles du vignoble suisse, on fonctionne bien ensemble."
Etienne Arrivé/AGIR
Le Musée de la vigne et du vin, au château de Boudry, est ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 17h. On peut y faire ses emplettes dans l’œnothèque cantonale, qui présente presque tous les encavages du canton de Neuchâtel.

