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Les articles d'AGIR
Le président de Prométerre livre sa vision de l’évolution de l’agriculture
AGIR : Claude Baehler, quel est votre objectif général concernant l’évolution de l’agriculture ?
Claude Baehler : Mon objectif est de tendre vers des améliorations des modes de production et d’offrir aux consommateurs les meilleurs produits et les plus diversifiés possibles mais aussi d’offrir à l’agriculture des conditions de travail et de vie comparables aux autres citoyens de ce pays.
Quelle est votre position concernant l’utilisation des pesticides et des antibiotiques ?
Avec l’évolution des connaissances, l’utilisation de certains pesticides et d’antibiotiques est de plus en plus critiquée et cela à juste titre. Aujourd’hui, la recherche appliquée et indépendante n’offre plus à l’agriculture un soutien suffisant. C’est l’agriculture elle-même qui développe et cherche des solutions novatrices pour tenter de freiner l’utilisation d’intrants.
Mais il faut tout de même rappeler que l’arrivée des produits phytosanitaires a sauvé de multiples récoltes et a permis de nourrir les populations durant ces dernières décennies. L’agriculture a déjà réagi dans les années 90 en créant la production intégrée afin de freiner l’utilisation des intrants et de s’en servir le plus judicieusement possible. Actuellement, avec l’évolution des connaissances, l’agriculture a, à nouveau, amorcé une nouvelle direction pour découvrir de nouvelles pratiques agricoles et devenir toujours plus durable. Les agriculteurs ont toujours montré un fort intérêt à mettre en place de nouvelles techniques et cela va durer, j’en suis persuadé.
Quelles sont les principales difficultés pour remplacer les intrants par de nouvelles méthodes de culture ?
L’augmentation des surfaces par exploitation et la diminution de la main-d’œuvre peuvent générer des difficultés de mise en place de nouvelles techniques. Selon nos grands penseurs, un milliard d’agriculteurs sont nécessaires pour nourrir la population mondiale et nous sommes actuellement moins de 800 millions...
Selon vous, qu’en est-il du côté des consommateurs ?
Toute la population n’a, encore aujourd’hui, pas conscience que se nourrir ce n’est pas seulement ingérer des calories pour faire fonctionner son corps mais c’est aussi un acte de santé et de bien-être et que cela a un coût. Tant pécuniairement qu’en temps nécessaire pour la confection des repas. Pour confirmer ce propos, j’ai plusieurs exemples :
- Le tourisme alimentaire, qui représente l’équivalent de 20% du chiffre d’affaires de l’agriculture suisse, démontre bien que l’attrait d’un prix bas surpasse l’intérêt pour la qualité et les modes de production les plus strictes que nous appliquons.
- Il y a quelques années, un grand distributeur a souhaité augmenter la production biologique de 12% à 20% de son label viande de bœuf (Natura Beef bio). La production de ce produit bio est rapidement montée à 15% des ventes. A ce moment-là, le grand distributeur a stoppé l’évolution du bio, les ventes ne progressant plus.
- A Marcelin, un marché aux fruits et légumes était très prisé. Il proposait essentiellement les produits du domaine en production PER. Il a été décidé de transformer ce marché et de ne vendre plus que des produits bio qui proviennent de la région. Depuis lors, les ventes ont baissé et le marché périclite au point que sa fermeture est probable.
- Dans le fromage « Gruyère Bio », là aussi les ventes ne décollent pas.
Comment peut-on, dans ces conditions, encourager de manière importante les agriculteurs à produire bio ?
Si la demande en produits bio augmente, l’agriculture satisfera cette demande avec une offre adaptée. Je rappelle, qu’il y a deux ans, nous avons eu un été pourri, que la consommation de viande de porc a baissé de 2% et que la production a elle progressé de 3%. Ces 5% d’excédents en trois mois on fait chuter le prix du porc aux producteurs de plus de 50%. Deux ans après, malgré des marchés régulés depuis longtemps, les prix sont toujours nettement inférieurs à la situation d’avant... Nous vivons dans un monde où le tout, tout de suite est la règle. Dans l’agriculture cette règle n’est malheureusement pas valable. Pour tester de nouvelles pratiques, le temps nécessaire aux essais est très long. Un cycle de végétation dure une année et, si on veut conforter nos essais, 3 à 4 ans au minimum sont nécessaires pour affiner de nouvelles pratiques agricoles.
Quels sont vos souhaits pour que cela évolue dans le bons sens pour l’agriculture ?
Que l’agriculture, que ceux qui la travaillent et que ceux qui la défendent soient justement reconnus. Je propose d’intensifier l’information sur le rôle positif de se nourrir sainement ; de mettre l’accent sur les innovations et les améliorations des techniques agricoles afin qu’elles soient connues et reconnues ; d’encore et toujours sensibiliser les consommateurs au fait que se nourrir sainement a un coût. Car je suis persuadé que ce sont les actes d’achat des consommateurs qui vont appuyer, voire générer, l’évolution de l’agriculture.
Propos recueillis par Martine Bailly/AGIR
