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Le «reculer» paradoxal du soutien fédéral au franches-montagnes
La consultation sur ce train d’ordonnances 2025 s’est terminée le 1er mai, l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2026, et on ne saura que cet automne si l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) maintient les coupes prévues. Mais la gérante de la Fédération suisse du franches-montagnes (FSFM), Pauline Queloz, est inquiète: "Il y a trois ans, on avait reçu un immense soutien partout en Suisse, qui avait impressionné l’OFAG, même de la part d’organisations d’autres races, avec par exemple l’appui de la Fédération d’élevage des vaches d’Hérens. Mais à l’époque, c’était tout spécialement les éleveurs de chevaux franches-montagnes qui étaient victimes de la révision. Or c’est moins le cas cette année, et on comprend bien que l’Union suisse des paysans doit se battre contre les coupes pour l’ensemble de l’agriculture, en étant sollicitée de toutes parts".
Le statu quo arraché en 2022
Pauline Queloz a bien sûr été convoquée à des séances de l’OFAG, mais elle décrit ses discussions davantage comme la présentation de décisions déjà prises. "On essaie de se défendre oralement, mais lors de ces rendez-vous, on ne se sent pas toujours très écoutés. En 2022, on avait pu compter sur les connexions à Berne de notre président d’alors, l’actuel conseiller fédéral Albert Rösti, et nos relais aux chambres fédérales, en particulier jurassiens, avaient pesé auprès de Guy Parmelin pour préserver la prime de 500 francs par naissance de poulain, tout en expliquant la nécessité d’une part raisonnable de sang étranger dans notre race. Aujourd’hui notre président est lui aussi un ancien conseiller national UDC bernois, Andreas Aebi, et une fois de plus c’est lui qui est en première ligne pour le lobbying politique."
Les éleveurs indirectement touchés
Du côté de l’OFAG, il s’agit, pas à pas, de créer les bases légales nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie fédérale de sélection animale à l'horizon 2030. Celle-ci vise à améliorer la qualité et la rentabilité de l'élevage, en axant davantage ses contributions sur des critères correspondants. Pauline Queloz résume: "L’ordonnance attribue des soutiens financiers, d’une part aux éleveurs et d’autre part aux organisations d’élevages. Or cette année, ce sont ces dernières qui sont impactées. Nous avons diffusé une prise de position auprès de nos membres, à savoir les 59 syndicats d’élevage chevalin suisses, en leur demandant de la répercuter à Berne pour faire barrage. Les coupes prévues concernent précisément les frais engendrés par la tenue de notre «herd-book», notre registre généalogique officiel, qui est incontournable pour attester de l’origine et de la pureté de la seule race indigène suisse. Pour parer à ce manque à gagner, on a donc déjà prévenu que nous serions très vraisemblablement contraints d’augmenter les tarifs de nos prestations aux éleveurs."
Réaugmenter les frais de passeport
Dans le viseur en particulier, le passeport obligatoire, un livret actuellement facturé 60 francs par cheval. "Il était à 75 francs, nous avions décidé de le baisser après le Covid, parce que notre philosophie est justement d’encourager l’élevage de cette race classée comme en situation critique. Nous sommes une association à but non lucratif, on cherche seulement à tourner en fournissant des prestations bon marché comparativement à d’autres races." D’autres frais pourraient aussi augmenter, comme, par exemple, les inscriptions aux concours, les changements de propriétaires (actuellement gratuits), ou l’abonnement au magazine de la Fédération. Mais tout reste évidemment à discuter.
En décalage avec le discours affiché
La FSFM souligne qu’elle s’attendait, dès 2023, à cette deuxième salve de restrictions, mais elle le vit comme une déception en regard des projets en cours et du discours paradoxalement très positif vis-à-vis du cheval franches-montagnes. "On nous dit que l’ordonnance veut favoriser les espèces indigènes, et que notre race va continuer de bénéficier d’un soutien financier avec cette prime aux éleveurs par animal. Mais, dans le même temps, il faut que nous participions, comme tous les secteurs, aux efforts d’économie de la Confédération. Quand on fait le bilan, il faut constater qu’on veut nous baisser quand même grandement ce soutien!"
De grands projets jurassiens
Le paradoxe, c’est aussi que tous les acteurs régionaux viennent de présenter -pour l’instant sans la Confédération-, un projet de Centre d'interprétation des Franches-Montagnes (CIFM), ayant le cheval comme fil conducteur. Devisé à 12 millions de francs, il serait implanté à Saignelégier, pour une inauguration envisagée au dernier trimestre de 2028. A noter aussi ces démarches jurassiennes pour une éventuelle inscription du cheval franches-montagnes au patrimoine immatériel de l’Unesco…
Une utilité réelle dans l’agriculture
"Dans le Jura, qui héberge un tiers de nos 18'000 chevaux, nous bénéficions d’un soutien politique important. Heureusement car on nous dit que nos franches-montagnes, et a fortiori les chevaux de sport demi-sang, ne contribuent pas à la sécurité alimentaire du pays, et ne présentent pas d’utilité pour l’agriculture. Mais c’est totalement faux: la grande majorité des franches-montagnes naissent sur une exploitation agricole, ils génèrent un complément de revenu précieux pour de nombreux agriculteurs, que ce soit par la vente [NDLR: Le Quotidien jurassien vient de consacrer un article à la filière belge qui a pu se porter acquéreuse de près d’un tiers de nos poulains], en frais de pension ou par le tourisme rural qu’ils alimentent. Et puis ils jouent clairement un rôle dans le maintien des pâturages boisés caractéristiques de la région des Franches-Montagnes."
Le lobby agricole va-t-il peser?
Un soutien plus large en Suisse va-t-il finalement se manifester pour faire pencher la balance? "J’aimerais bien que l’OFAG nous contacte pour procéder à des adaptations", conclut Pauline Queloz. "Il y a trois ans cela s’était passé vers la fin août. Mais pour l’instant ce n’est pas le cas." Et si l’ordonnance n’était effectivement pas retouchée, resterait le levier de la taille de l’enveloppe: les chambres fédérales auront encore leur mot à dire, lors de la session d’hiver, pour ce qui concerne le budget alloué à l’élevage.
Etienne Arrivé/AGIR

