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Marque Terravin : Visionnaire mais en manque de visibilité !
La marque Terravin, naissance heureuse ou houleuse ?
Heureuse mais houleuse. Au début des années soixante, le climat économique est tendu et le Conseil d’Etat vaudois prend la décision, sous la pression des négociants en vin, de libérer progressivement les vignerons de l’obligation de lier l’aire de production et la mention de l’origine des vins. Une décision inacceptable pour Robert Isoz, alors président de la Fédération vaudoise des vignerons et syndic d’Yvorne. Ce fervent défenseur de l’idée que la qualité d’un vin est intimement liée à celle de son terroir riposte en créant la marque de contrôle de l’origine et de la qualité des vins d’Yvorne : la marque Terravin. Nous sommes le 15 janvier 1962.
Comment se caractérise la marque Terravin ?
Dès sa création, elle s’est dotée d’un règlement très strict. Ainsi, seuls les vins issus de vignobles situés dans l’aire d’appellation Yvorne et ayant passé avec succès la dégustation effectuée par un panel d’experts étaient autorisés à arborer la vignette Terravin. Mais très rapidement, Terravin s’ouvre à tout le vignoble vaudois et autorise l’ensemble des vins d’appellation d’origine contrôlée (AOC) à se présenter. Il n’y pas de favoritisme, tous les vins sont jugés sur la base des mêmes paramètres et des mêmes critères.
Quelle reconnaissance avez-vous obtenu après toutes ces années auprès des vignerons ?
Après cinquante ans d’activité et malgré tous nos efforts, nous n’avons jamais réussi à atteindre les 10% de vins vaudois AOC labellisés Terravin, seuil minimal selon moi pour garantir une bonne visibilité à notre label. Ainsi, en 2012, seuls 211 vins ont reçu la vignette or et noir Terravin, soit 4,8% de la production AOC vaudoise. Mais l’Office Terravin a beaucoup travaillé pour faire de notre label une référence qualitative. Et ce, tant par le soin apporté à la formation des dégustateurs et au professionnalisme de notre commission de dégustation composée d’environ 35 membres, que par le soutien œnologique que nous apportons aux vignerons pour le développement de la qualité de leur vin.
Pour quelles raisons les vignerons boudent-ils votre label ?
L’achat des vignettes ne les motive pas, principalement en raison de leur coût. Nous sommes conscients qu’avec un prix de la vignette fixé à 20 centimes, la labellisation Terravin peut représenter un gros investissement mais leur présence sur les bouteilles représente une réelle valeur ajoutée. C’est cet aspect, pourtant essentiel, que nous avons encore du mal à faire passer. Et ce, principalement auprès des caves coopératives qui sont parmi nos plus gros clients.
Pourquoi les vignerons ne s’identifient pas à leur marque ?
Voilà sept ans que je m’interroge sur cette question. J’ai toujours l’impression qu’ils parlent de Terravin comme de quelque chose d’emprunté et pas comme de leur propre marque de qualité. C’est un gros problème et une vraie faiblesse du système qui explique en partie que nous soyons à 5% plutôt qu’à 10%.
Est-ce que le fait de diminuer le prix de la vignette ou de modifier les exigences de qualité pourrait faire changer les choses ?
Nous nous concentrons tout particulièrement sur la qualité des vins qui est l’élément central de notre marque. Si nous commençons à l’écorner, nous perdons la crédibilité qui fait notre force. Une crédibilité qui dépend de la grande expérience de nos dégustateurs que nous payons grâce aux revenus de la vente de vignettes. En comparant à d’autres certifications, la vignette Terravin coûte peu.
Dès lors, pourquoi croître, vous pourriez vous appuyer sur cette excellence des vins Terravin comme produit de niche?
Nous ne pouvons nous satisfaire d’un noyau dur d’irréductibles ! Nous sommes donc contraints de croître. Avec moins de 5%, nous n’existons presque pas sur les étals des grands distributeurs et pas beaucoup plus auprès du grand public.
Pourquoi les consommateurs ne connaissent-ils pas votre label ?
Le concept du label Terravin est complexe à expliquer au grand public. Dès lors, seul un contact direct avec le consommateur permet d’exposer correctement les atouts de notre marque. Ainsi, en 2012, nous avons effectué une enquête sur 3'502 visiteurs de salons spécialisés, tels Arvinis, Vinéa, Mondial du Chasselas, etc. Les résultats ont montré que notre label est connu et reconnu par les trois-quarts des personnes âgées de 46 ans et plus. Mais pas par les jeunes adultes. Pourtant, l’avenir de notre production passe par les jeunes générations. Nous devons absolument les convaincre qu’acheter une bouteille arborant la vignette « Lauriers d’Or » c’est avoir la certitude de boire un vin vaudois de grande qualité.
Que faites-vous pour orienter les consommateurs sur le label Terravin ?
En plus des foires et salons spécialisés, je reste persuadé qu’un axe majeur de développement de notre marque est celui du mariage entre vins et produits du terroir. Ainsi, en 2012, nous avons proposé un coffret « Symphonie des sens » en collaboration avec le Vacherin Mont-d’Or AOP. Puis, la même année, nous avons obtenu une zone entière dédiée aux crus Terravin à la Halle romande à Lausanne et ce sera également le cas, dès cet automne, dans sa nouvelle annexe à Pully. Enfin, récemment, nous nous sommes associés avec le Gruyère AOP. Ces synergies nous permettent de mettre un pied dans la grande distribution et de toucher une autre clientèle par le biais d’autres canaux. Je pense, avec beaucoup de fierté, que notre marque est un véritable service à la clientèle puisque nous offrons aux consommateurs la garantie d’acheter un vin de qualité. Un service qui mériterait d’être mieux reconnu et soutenu par les associations de consommateurs.
Vous êtes donc confiant sur l’avenir de la marque ?
Je dis oui, trois fois oui ! D’ailleurs, nous n’avons pas le choix… Nous vivons la pire période depuis ces cinquante dernières années sur le plan de l’écoulement de nos vins. Les marchés viticoles, suisse et vaudois, sont dans une situation telle que nous devons employer tous les modes de promotion existants et en développer d’autres pour faire connaître nos produits. Terravin fait partie de cette stratégie. De plus, les aides fédérales et cantonales se dirigent toujours davantage vers des projets collectifs. Terravin est une marque collective qui est accessible à tous les vignerons et c’est en cela qu’elle était visionnaire il y a cinquante ans déjà. Inutile donc de vouloir recréer quelque chose de nouveau, nous sommes dans la cible.
Propos recueilli par
Vincent Bailly
