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Les articles d'AGIR
Michel Geinoz: "Venez à EXPO Bulle ressentir le dévouement des jeunes éleveurs"
Aidez-nous à nous situer parmi tous ces concours de bovins. Suivent-ils une certaine construction hiérarchique, à l’image des compétitions sportives?
Non, ce n'est pas tout à fait comparable, déjà parce que chaque exposition est indépendante de l’autre. On a des expositions régionales, cantonales, supra cantonales et, par exemple avec EXPO Bulle, un concours national, ici pour ce qui concerne les races Holstein et Red-Holstein. Comme c'est la dernière exposition de la saison, on a de fortes chances d’y rencontrer les gagnantes des précédentes expositions, mais pas forcément non plus, en fonction de leur forme du moment. Les inscriptions ont commencé en janvier et s’arrêtent un mois avant l’événement. A noter que toutes les bêtes devront être négatives au test de la BVD (diarrhée virale bovine), un virus contre lequel la filière reste très mobilisée.
Et c’est la 50e édition de cette manifestation cette année: en tant que directeur de Holstein Switzerland et de swissherdbook Zollikofen, que pourriez-vous nous en dire pour nous donner envie de la visiter? Que c’est une longue histoire en marche?
Oui, c'est la 54ᵉ année, la 1ère ayant eu lieu en 1971 à l’ancien Marché-Couvert de Bulle, mais seulement la 50ᵉ exposition, car certaines éditions, lors du Covid ou pour des raisons sanitaires, avaient dû être annulées. Pour marquer le coup, il y aura donc une soirée du cinquantenaire le jeudi 27 mars, pour réunir les éleveurs, en présence de personnalités marquantes de l'histoire de l'élevage et de l'événement. Le lendemain, le vendredi 28, nous aurons, comme depuis 2022, un classement de vaches Swiss Fleckvieh, puis le samedi 29, le concours national Holstein et Red-Holstein. Le tout à Espace Gruyère, à Bulle. Le but premier d’EXPO Bulle était de montrer l’évolution de l’élevage fribourgeois. Depuis 2004, les championnes Holstein et Red Holstein sont donc sacrées «Championnes Nationales». Cette année, on annonce 658 vaches inscrites, dont 316 Holstein, 179 Red Holstein et 163 Swiss Fleckvieh.
Un citadin extérieur à la filière y trouvera-t-il de l’intérêt?
C’est vrai qu’on peut aller à Expo Bulle et « passer à côté du truc », en s’embêtant à voir des vaches tourner en rond sans comprendre les critères pris en compte pour le classement. Mais je vous garantis que si vous allez vous promener dans les étables -et il faudra peut-être n’avoir pas peur de marcher dans une bouse car ce sont des animaux-, vous ne pourrez pas ne pas ressentir l'émotion, la passion de ces éleveurs. La plupart du temps ils sont jeunes, et c'est fantastique de voir cette jeunesse, une génération qui s'investit pour préparer ses animaux pendant des semaines, qui n’en dort pas pendant deux nuits. Il y aussi énormément de jeunes femmes. Et puis là, parmi ces éleveurs, parmi ces rangées de vaches, on arrive peut-être à toucher du doigt cette passion qui les anime. Et c'est ça, EXPO Bulle. Ce n’est qu'une fois qu'on a saisi cette dimension-là que l’on devrait venir s'asseoir en tribune et puis regarder les catégories concourir, en s'identifiant davantage aux éleveurs. Ils vivent pour leurs animaux et ils y mettent tout leur cœur. A EXPO Bulle, il y a aussi une dimension sociale, de rencontres, d’échanges, parce qu’au quotidien, les éleveurs sont souvent seuls dans leur étable, sans croiser personne puisqu’ils ne vont parfois même plus livrer à la laiterie puisque le camion passe chercher le lait.
Racontez-nous comment votre vie a changé depuis le 1er octobre dernier et votre désormais double casquette à la tête de ces deux coopératives faîtières de l’élevage bovin suisse?
La gestion de mon agenda est devenue un sport de haut vol, mais je dois dire que ce n'est pas le projet d'une seule personne. Moi j’avais déjà un poste à 100% chez Holstein Switzerland, mon prédécesseur également chez swissherdbook Zollikofen, et je ne suis pas Superman, donc on a réparti certains mandats auprès d’autres membres des comités ou des directions. Oui, je suis directeur de deux organisations, j'essaie de faire trois jours par semaine à Zollikofen et deux à Grangeneuve, j’essaie aussi d’être présent aux assemblées en région, mais c’est pour apporter le message des organisations nationales respectives. On raconte un petit peu les actualités, les dernières statistiques, on parle aussi souvent un peu plus politique, au-delà de ce qui concerne tel ou tel canton. Et depuis début 2025, je conduis le projet de rapprochement de nos deux entités, baptisé Alliance, avec des intentions qui seront prochainement présentées à nos assemblées de délégués du mois d’avril. Après une fusion refusée en 2009, on se donne l’horizon 2030 pour être ainsi plus fort face aux défis futurs, en arrêtant de vouloir être meilleur que l’autre, mais en constatant plutôt que les élevages sont aujourd’hui très panachés et qu’il s’agit surtout de répondre aux attentes des consommateurs vis-à-vis du lait en général. On gardera nos deux sites, qui ont chacun un fort ancrage agricole, mais, quand il y a des tâches communes, on cherchera les synergies pour alléger les structures.
Quelle est l’architecture de ces organisations faîtières pour l’élevage bovin suisse, et leurs importances respectives? Là encore, le grand public ne se le représente pas du tout.
Il faut surtout parler de celles qui font partie de la Communauté de travail des éleveurs bovins suisse (CTEBS), qui est la faîtière nationale. Il y a Braunvieh Schweiz pour les vaches brunes, basée à Zoug, la Fédération d’élevage de la race d’Hérens, basée à Aven en Valais, Vache Mère Suisse, basée en Argovie, qui est un peu différente car essentiellement pour les vaches allaitantes et donc pas pour la production laitière, enfin nos deux organisations, Holstein Switzerland, et puis swissherdbook qui, elle, regroupe des éleveurs Holstein et Red Holstein, Simmental, Swiss Fleckvieh, Montbéliardes, ou d’autres races un peu minoritaires. Nos deux organisations regroupent environ 10'000 éleveurs, sur un total national d’environ 30'000 détenteurs de bovins. Précisons encore que l’adhésion à une organisation d’élevage n’est pas obligatoire pour livrer son lait, mais qu’elle donne accès à un certificat d’ascendance pour le bétail et permet de bénéficier de nombreuses prestations, entre autres pour la mesure des performances des animaux.
Et quelle relation avez-vous avec la grande faîtière CTEBS?
Nos organisations sont plutôt des sociétés de service. On gère l’arbre généalogique de toutes les vaches, et on assure des prestations qui sont le contrôle laitier, des applications pour la gestion du management du troupeau, une évaluation morphologique des bêtes qui s'appelle la description linéaire. Et on ne fait pas vraiment de la défense professionnelle. Pour traiter ces questions qui sont plutôt politiques, les directeurs des fédérations se réunissent au sein du conseil de direction de la CTEBS, ce qui nous donne bien sûr une dimension beaucoup plus forte quand il s'agit de prendre position lors d’une consultation. Nous traitons alors avec les organes responsables, comme avec l'Union suisse des paysans, qui est une organisation très très forte et dont nous sommes membres. Il y a enfin la Fédération des Producteurs suisses de lait (PSL), qui a aussi un poids politique très important et avec laquelle on essaie d’accorder nos violons. Ils prennent la main quand il s’agit d’un sujet en lien direct avec la production laitière, et nous quand il s’agit davantage des conditions d’élevage, car nos membres sont tous des producteurs de lait.
Donnez-nous un aperçu des grands enjeux actuels du secteur, qu’ils soient commerciaux, sanitaires ou politiques.
Au plan politique, il y a la révision totale de l’Ordonnance sur l’élevage qui est en consultation, avec dans la balance tout le soutien financier de la Confédération, soit 23 millions de francs par an pour l’élevage bovin. Le mode de répartition de ce soutien va être revu, avec la saisie de nouveaux critères, et c’est un enjeu vital pour chacun. Il y aussi un enjeu sur la digitalisation -notamment les robots de traite-, pour que cela reste dans l’intérêt de l’éleveur, qu’il ne doive pas saisir ses informations à plusieurs reprises et ne disperse pas non plus ses données sur le marché. On travaille là-dessus au plan international, auprès d’entreprises basées souvent aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis. Enfin la situation sanitaire est très particulière en ce moment: il s’agit d’éradiquer la BVD dont nous avons déjà parlé, et puis on incite nos éleveurs, même s’il y a en ce moment une tension sur la disponibilité des doses, à faire vacciner leurs troupeaux, ce printemps, contre la 2e vague de la maladie de la langue bleue. Ils doivent avancer les frais, de l’ordre de 20 francs par bête, et on espère qu’ils pourront être partiellement remboursés par la Confédération en 2026. Il y a aussi d’autres risques sanitaires à l’étranger, des foyers de fièvre aphteuse en Allemagne ou en Hongrie, de tuberculose en Autriche… bref, on est en souci pour le bien-être de nos animaux.
Il y a aussi un enjeu de communication ET d’information vis-à-vis du grand public: la communication lorsqu’il s’agit de répondre à des initiatives lors de campagnes de votations, et l’information pour apporter, tout au long de l’année, des connaissances de base sur les réalités vécues et les efforts consentis par les acteurs de la branche. Comment situez-vous l’une par rapport à l’autre?
Je peux déjà dire qu’à EXPO Bulle, nous invitons chaque année une dizaine de classes, et j’ai pu personnellement constater que, la plupart du temps, les élèves n’ont jamais vu une vache de près. Pourtant on est à Bulle, et pas à Hong-Kong. Il y a là des stands organisés avec L’école à la ferme, pour leur expliquer que le lait ne vient pas de la brique Tetra Pak de la Migros. Dans ces concours, ils découvrent aussi les coiffeurs pour vaches, les fameux clippers, mais aussi les juges, les critères. Et on termine cette visite avec un goûter lait-yogourt-fromage, histoire de rappeler que ces animaux, le restant de l’année, sont à l’étable ou sur l’alpage, produisent du lait pour que le paysan puisse gagner sa vie. Mais l’information doit aussi passer auprès du public adulte, tout au long de l’année. Je maintiens que nos éleveurs sont largement les mieux placés pour dire leurs réalités, même si trop souvent, ils manquent de temps pour aller dans les médias. On fait avec des spots de promotion, à Fribourg dans les bus, ou pour les matches de Gottéron, fantastique, mais il faut aussi que l’on trouve des relais qui comprennent notre sensibilité, qui valorisent le travail acharné de ces gens de la terre qui produisent tous les jours de quoi nourrir la population. On sait tous que c’est un aspect extrêmement important, que l’on ne doit pas bâcler. Moi je me suis par exemple distancié de la malbouffe informationnelle qui atterrissait sur mon téléphone, de ce marketing de la communication qui, trop souvent, prend le dessus sur l’information. J’aimerais tellement que les médias ne nous vendent pas que des titres accrocheurs qui sont juste faux. Attention à ça, car trop souvent, au café du commerce, on en tire une généralité mensongère, quel que soit le milieu concerné.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR
Toutes les infos pratiques sur cette 50e EXPO Bulle ici

