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« Jouer la montre ! Je n’y crois pas ! » (Christian Levrat)
Fervent partisan d’une ouverture des marchés suisse et européen, Christian Levrat considère que cette mesure permettrait de freiner le tourisme d’achat. Un phénomène qui fait perdre chaque année plusieurs milliards de francs au secteur agroalimentaire suisse. « Je pense qu’une réouverture des négociations avec l’UE dans le cadre d’un ALEA est un pas à faire afin de ne pas rater le train qui est déjà en marche. En uniformisant nos marchés, les prix se tasseront et les consommateurs suisses seront moins tentés d’aller à l’étranger pour faire leurs achats. L’Union européenne et les Etats-Unis vont ouvrir prochainement des négociations dans l’optique d’une libéralisation de leurs marchés, si nous ne voulons pas nous retrouver tout seul, nous devons agir maintenant ! », a-t-il expliqué.
Un argument qui ne convainc pas Yves Pellaux, président de Prométerre, car les coûts de la production agricole ne représentent que 30% de la valeur totale des denrées alimentaires vendues : «Même si nous donnions nos produits à la grande distribution, les prix de vente seraient encore trop élevés vis-à-vis de la concurrence étrangère ! ». Et de souligner aussi la part importante des coûts de transformation et de distribution des produits, point sur lequel l’agriculture suisse ne peut pas intervenir : « Je rappelle également que lorsque l’euro était à 1,50 CHF, nos produits étaient parfois moins chers que ceux vendus dans l’UE. La fluctuation des cours des devises influence, elle, directement le tourisme d’achat. Ouvrir les marchés ne corrigerait donc pas le phénomène ! ».
Concernant l’avenir de l’agriculture suisse dans un marché global libéralisé, le président du PS suisse propose le développement d’une agriculture à forte valeur ajoutée. « Mais cette option ne pourra se faire qu’avec un soutien financier massif de la Confédération », ajoute-t-il.
Une proposition que Didier Peter, directeur de la Société coopérative des sélectionneurs (ASS), ne soutient pas : « Le monde vit avec une agriculture basée sur un système qui n’est pas durable. Devons-nous suivre la dynamique globale quel qu’en soit le prix, quitte à soutenir à grand frais un système défaillant ? La concurrence trop forte des denrées étrangères produites à bas prix et dans des conditions qui ne sont pas celles mise en place en Suisse, va irrémédiablement provoquer l’abandon de pans entiers de notre agriculture : cultures maraîchères, arboriculture, grandes cultures, etc. Une fois que les grands de ce monde se seront aperçus de leurs erreurs dans dix ou quinze ans et qu’il faudra revenir en arrière, nous aurons alors perdu notre savoir-faire dans ces domaines ».
Quant à Jean-Paul Lachat, chef du service de l’Economie rurale jurassienne, il ajoute : « Vous préconisez une ouverture immédiate des marchés qui obligera le gouvernement à soutenir massivement une agriculture à haute valeur ajoutée sans pour autant avoir des garanties sur la pérennité du système. Dès lors pourquoi ne pas maintenir les mesures de protection actuelles dont les coûts sont bien moins élevés ? ». Et Christian Levrat de répondre : « Les négociations vont prendre énormément de temps, c’est certain, mais jouer la montre je n’y crois pas ! Nous devons être intégrés dès le début dans les réflexions. Il serait dangereux d’attendre qu’un accord soit signé à l’OMC et qu’on nous l’impose. Au vu des intérêts énormes en jeu entre les Etats-Unis et l’Union européenne nous n’aurons alors pas d’autres choix que de nous aligner... ».
Vincent Bailly / AGIR