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Des lapins de Pâques au goût doux-amer
17.04.2025 – Face à l'envolée des prix du cacao, les artisans ont dû adapter leurs prix à la hausse, entraînant une baisse des ventes avant les fêtes de Pâques. Les perspectives pour les mois à venir laissent peu de place à l'optimisme.
Pas moins de 23 millions de lapins en chocolat ont été produits pour le marché suisse cette année, estime la faîtière Chocosuisse. Mais les festivités de Pâques, habituellement période d'opulence chez les chocolatiers, laisseront un arrière-goût amer aux artisans cette saison.
"Nos ventes sont en légère baisse", confie à l'agence AWP Nicole Rohr, qui dirige la chocolaterie éponyme comptant quatre boutiques bien connues à Genève. La faute sans doute aux prix qui ont dû être relevés, "suite à la hausse des matières première ainsi que d'autres frais", poursuit-elle, sans divulguer de chiffres.
Chez Renou, les prix de la gamme chocolat ont augmenté entre 5% à 7% depuis octobre dernier. Et pour Pâques, "nous avons joué sur le poids des sujets pour maintenir des prix identiques à ceux de l'année dernière", confie Christophe Renou, fondateur et directeur de la marque implantée à Genève avec cinq boutiques. L'assortiment de douceurs aux fruits - sans chocolat - est aussi un peu plus étendu que par le passé.
L'entrepreneur a aussi revu ses marges à la baisse. C'est la parade qu'il a trouvée face au renchérissement de plus de 50% au total en 2024 des couvertures, grués, pâtes et poudres de cacao. "Nous ne pourrions pas répercuter l'entier de la hausse sur nos clients et il n'est pas question de rogner sur la qualité de nos produits."
Nouvelles hausses cette année
A Courtelary, Camille Bloch - qui produit notamment les barres Ragusa et Torino - a aussi dû augmenter ses prix à deux reprises déjà, en juin 2024 et janvier dernier, en dépit du report de certains projets et de mesures de gains en efficacité destinés à absorber les hausses de coûts. "Au vu du niveau toujours très élevé des prix du cacao et du beurre de cacao, nous sommes contraints de faire une troisième augmentation à partir de mai 2025", indique à AWP une porte-parole sans dévoiler de chiffre.
Idem pour le géant Lindt & Sprüngli, dont le fameux lapin doré à la clochette coûte 10% plus cher cette année, après des augmentations totalisant près d'un cinquième ces deux dernières années, en dépit d'un effet volume favorable. Quant aux distributeurs Migros et Coop, ils ont aussi ajusté leurs prix, ce dernier observant même une baisse de la demande pour certains produits de marque.
S'il est encore tôt pour tirer un bilan de la saison, "les hausses effectuées par les chocolatiers sont estimées entre 5% et 15%, selon leur position sur le marché, leur assortiment ou leur stratégie d'approvisionnement", indique Roger Wehrli, directeur de Chocosuisse.
Stables pendant près d'une décennie autour de 2'500 dollars la tonne, les cours du cacao ont commencé à grimper début 2023, avant de littéralement flamber l'an dernier, les contrats à terme dépassant à plusieurs reprises les 12'000 dollars la tonne. En cause, une offre sous tension, nourrie d'inquiétudes persistantes pour les récoltes.
En particulier en Côte d'Ivoire, principal producteur mondial avec le Ghana, où les agriculteurs ont récemment annoncé des pénuries en raison de la sécheresse, avec des fèves plus petites et de moins bonne qualité. Ces deux pays voient leurs plants constamment ravagés depuis plus de trois ans par des températures élevées et des maladies, favorisées par une situation de monoculture et l'utilisation prolongée de pesticides ayant entraîné des résistances des pathogènes.
Conséquences incertaines sur la demande
Si aujourd'hui, les cours ont quelque peu reflué à moins de 8'500 dollars la tonne, le marché demeure hautement volatil, sujet aux incertitudes, face aux craintes désormais d'une baisse de la demande, analyse Trading Economics. Parmi les indicateurs qui tendent à le démontrer, figurent les données sur les broyages de cacao pour le premier trimestre où des baisses importantes de 5% à 7% sont attendue, pointent les experts du portail spécialisé.
"Il est difficile de prévoir comment les consommatrices et consommateurs vont réagir à la nouvelle réalité des prix", note Roger Wehrli, soulignant qu'un retour aux anciens niveaux "semble peu réaliste". Dans ce contexte, de nouvelles hausses de prix sont probables. La stagnation des ventes de chocolat suisse l'an dernier est déjà jugée "alarmante" par la branche. Sans oublier que la pression réglementaire augmente, notamment avec la réglementation européenne sur la déforestation (EUDR), qui engendre de nouvelles obligations et des coûts supplémentaires.
Christophe Renou aspire à ce que ce phénomène redonne sa valeur et sa préciosité au cacao et que le chocolat soit dégusté à l'avenir avec davantage de conscience. Le consommateur s'approvisionnera peut-être aussi davantage auprès des artisans locaux, espère Nicole Rohr.
Auteur : Agence Télégraphique Suisse (ATS)
