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À Clermont-Ferrand, la Suisse partage son expérience du pastoralisme
On connaît tous le Salon international de l’agriculture à Paris, cette grande foire populaire qui attire chaque année plus de 600'000 visiteurs à la porte de Versailles. Mais loin des stands bondés et des selfies avec les ministres, un autre rendez-vous s’impose dans le monde agricole: le Sommet de l’élevage, à Cournon-d’Auvergne, près de Clermont-Ferrand. Moins médiatisé mais tout aussi influent, il réunit chaque automne plus de cent mille visiteurs et quelque 1'700 exposants venus d’une trentaine de pays.
L’édition 2025 restera toutefois particulière, avec l’épidémie de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) qui a entraîné l’interdiction des rassemblements bovins sur le territoire français et privé le salon de ses concours emblématiques. Pourtant, le Sommet de ce début octobre n’a rien perdu de son souffle. Et il s’impose auprès des professionnels comme une vitrine des dernières innovations agricoles, du matériel de pointe aux nouvelles technologies.
Un stand tourné vers l’échange
Parmi les différents espaces: celui des Rencontres pasto, où éleveurs, chercheurs et techniciens ont pu débattre de leurs pratiques, comparer leurs outils et partager leurs réalités. Le stand a également accueilli une délégation romande, coordonnée par Marion Zufferey, responsable agriculture de montagne pour l'USP, avec Christophe Longchamp, président d’Agora et de Prométerre, Damien Rey pour les Jeunes agriculteurs et Yves Nicolet pour Agri-Fribourg.
"Nous avons reçu une invitation du Réseau pastoral Auvergne-Rhône-Alpes et de la SIDAM, qui regroupe les chambres d’agriculture du Massif central", explique Marion Zufferey. "C’était une belle occasion d’échanger entre acteurs confrontés aux mêmes problématiques. La montagne n’a pas de frontière: qu’on soit en Valais, dans le Jura ou dans le Massif central, on fait face aux mêmes réalités."
Concilier les usages en montagne
La délégation suisse a notamment pris part à deux conférences majeures. La première, conduite par Christophe Longchamp, a porté sur la conciliation des usages en zones pastorales – entre agriculture, tourisme, loisirs et protection des troupeaux. "Les Français connaissent exactement les mêmes situations: chemins fermés, incompréhension autour des chiens de protection, et la difficulté à faire coexister randonneurs et éleveurs", résume Marion Zufferey.
La deuxième conférence, assurée par la cheffe de projet de l’USP, s’est concentrée sur la vulnérabilité des estivages face à la prédation lupine. "Nous avons beaucoup échangé sur la gestion du loup. En Suisse, la régulation préventive permet de tirer certains individus avant qu’ils ne causent des dégâts, tandis qu’en France, l’approche reste essentiellement réactive. Nous disposons de moyens financiers plus importants, mais les procédures sont lentes: il faut dix jours pour obtenir une autorisation de tir, contre un seul en France", explique-t-elle.
Côté chiffres, toujours, la régulation helvétique porte sur environ 25% de la population de loups chaque année, contre 10% en France. "Mais la question n’est pas que statistique: la coordination est importante. Quand une meute franchit la frontière, elle est parfois comptée deux fois ou à moitié, ce qui fausse les quotas et complique la régulation. Les loups, eux, ne connaissent pas les frontières."
Des outils et des conséquences concrètes
La délégation suisse s’est particulièrement intéressée à une application française, “Map Loup”, qui notifie en temps réel les attaques. "C’est un système simple mais efficace. Il permet aux agriculteurs d’être alertés immédiatement lorsqu’une attaque a lieu dans leur région", note Marion Zufferey. Une adaptation helvétique pourrait être envisagée, même si la question de la confidentialité et du risque de surmédiatisation reste ouverte.
La coordinatrice de la délégation note aussi les effets indirects du prédateur: "Quand les bêtes ne peuvent plus sortir comme avant, c’est toute la production qui s’en ressent. Prenez les fromages AOP: certains cahiers des charges exigent un nombre d’heures de pâturage minimal. Si, à cause du loup, on doit rentrer les animaux plus tôt, cela met en péril la conformité au label. On ne parle donc plus seulement d’attaques, mais de répercussions sur des produits, des emplois et une culture."
Une éleveuse du sud de la France, productrice de lait pour le Roquefort, a d’ailleurs témoigné de ces conséquences: avec les chaleurs extrêmes, elle faisait jadis sortir ses brebis la nuit. L’arrivée du loup l’en empêche, compromettant à la fois le bien-être animal et les critères AOP.
Une même envie de coopération
Au-delà des conférences, la délégation suisse a multiplié les échanges bilatéraux avec les chambres d’agriculture du Jura et de l’Ain. « Nous avons tous les mêmes défis: prédation, relève, équilibre entre production et nature. Et les solutions gagnent à être partagées", souligne encore Marion Zufferey.
Ainsi, à l’avenir, ces rencontres pourraient déboucher sur des échanges réguliers entre acteurs du pastoralisme, à l’image de l’ULCA, un groupe transfrontalier déjà existant autour du Léman. Par ailleurs, la coopération franco-suisse fonctionne déjà pour d’autres enjeux, comme la lutte contre la dermatose nodulaire ou les questions sanitaires, et pourrait s’étendre à la gestion du loup.
Cap sur 2026: faire connaître le pastoralisme
Cette participation s’inscrit également dans la préparation de l’Année internationale du pastoralisme et des pâturages 2026, proclamée par l’ONU. Marion Zufferey en coordonne la mise en œuvre pour la Suisse, aux côtés de l’USP, de la Société suisse d’économie alpestre (ASSA), du Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB) et de l’association HELVETAS.
"Deux tiers du territoire suisse sont des surfaces herbagères: ces surfaces ne peuvent être valorisées que par les ruminants. Par ailleurs, sans les éleveurs, elles se refermeraient. Notre objectif est de redonner de la visibilité à un mode de vie essentiel mais souvent mal compris."
Une campagne vidéo débutera dès janvier: chaque semaine, des portraits d’agriculteurs ou d’alpagistes, dont on pourra suivre le quotidien durant plusieurs mois, seront diffusés sur les réseaux sociaux de l’USP, en français, allemand et italien. "Ces témoignages courts montreront la diversité des visages et des savoir-faire. Nous voulons raconter la réalité du terrain, loin des clichés."
Des échanges internationaux sont aussi prévus – avec des bergers d’Éthiopie, de Mongolie ou d’autres régions de montagne – et une conférence thématique se tiendra en Suisse dans la seconde moitié de l’année. L’ensemble débouchera sur une déclaration adressée au Conseil fédéral, pour rappeler l’importance du pastoralisme dans la sécurité alimentaire et l’entretien du paysage.
Entre passion et précarité
Au fil des discussions, Marion Zufferey évoque aussi les réalités du métier: "En montagne, beaucoup d’exploitations ne permettent pas de vivre à plein temps. Environ la moitié cumule une activité annexe. C’est souvent deux journées en une: le travail salarié et l’écurie avant ou après."
Malgré ces contraintes, les exploitations de montagne gardent un rôle central dans l’économie régionale et l’entretien du territoire. Quant aux produits à forte valeur ajoutée – fromages, viande séchée, spécialités locales –, ils sont de vrais leviers de durabilité.
Pascale Bieri/AGIR

