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Les articles d'AGIR
A Evolène, un an après les crues exceptionnelles de la Borgne
Au pays des combats de reines, revenir à la charge aura été le grand leitmotiv de l’année. Il faut s’imaginer une communauté montagnarde de quelque 1’670 habitants mise au défi, en seulement douze mois, de reconstruire son réseau d’eau, ses égouts, les chemins d’accès à ses exploitations agricoles souvent dévastées, et qui, par-dessus le marché, se retrouve coupée du monde le 17 avril: plus d’électricité, plus de télécommunications, routes bloquées par la neige et les chutes d’arbres, et impossibilité de voler en hélicoptère! S’ils ont eu la chance de n’enregistrer que des dégâts matériels, Evolénardes et Evolénards ont aussi pu mesurer très concrètement ces valeurs d’engagement et de dynamisme qui font leur fierté.
Pistes grises sur berges sécurisées
En contrebas du centre du village, célèbre pour ses toits en pierre et ses greniers en bois de mélèze, on roule à bord du 4x4 du conseiller communal Eddy Favre, en charge des constructions, de l’aménagement du territoire et de l’agriculture. Les rives que nous contournons témoignent autant des dégâts enregistrés que des efforts entrepris pour sécuriser les berges. On est ici à 1350 mètres d’altitude, et l’on remonte sur des pistes grises, rétablies par des engins de chantier ces derniers mois, jusqu’au niveau de la localité des Haudères et de la confluence des deux Borgnes: la Borgne de Ferpècle au sud-est et la Borgne d’Arolla au sud-ouest. Ici les paisibles forêts d’aroles (ou pins des Alpes) et les alpages d’ordinaire clôturés pour l’élevage, ont laissé place à un paysage de gravas. "Entre le 21 et le 30 juin 2024, c’est une crue centennale bihebdomadaire qui nous est arrivée, et on estime que 10 hectares de terrains agricoles sont partis dans la rivière, avec 30'000 m3 de matériaux charriés et déposés dans le secteur."
55'500 baignoires et 17'000 bouteilles d’eau
Les dommages ont été considérables. D’abord les conduites principales d’acheminement en eau potable, desservant la plupart des villages de la commune, ont été arrachées. Leur réparation, en milieu hostile et instable, n’a été effective qu’entre la fin juillet et le début août. Jusqu’à l’automne, le personnel communal, les sapeurs-pompiers du CSI Hérens et la Protection civile ont contribué à garantir la distribution d’eau potable en déployant 2'095 mètres de conduites aériennes provisoires remplaçant les conduites souterraines. Ces efforts ont été complétés avec l’acheminement par camion d’un total de 10'000 m3, soit 55'500 baignoires, ainsi que la distribution de 17'000 bouteilles d’eau de 1,5 litre.
Très chers égouts non assurés
Les égouts communaux ont par ailleurs été obstrués ou détruits sur plus de 3 km entre les Haudères et Evolène. Du 21 juin au 5 juillet, la STEP communale était hors service et les eaux usées se déversaient dans la Borgne. Plus en amont, il a fallu travailler jusqu’à la mi-novembre, voire la mi-décembre, sous la neige et avec le terrain gelé, pour parvenir au retour à la normale. La réhabilitation de ces canalisations laisse une facture de plus de 922'000 francs à la commune, qui n’est pas prise en charge par l’assurance (contrairement au réseau d’eau potable) ni subventionnée. Dans ce domaine, seuls les travaux liés à la STEP sont couverts.
95% des frais de sécurisation pris en charge
On entre ici dans le second défi majeur d’Evolène: la recherche de tous les soutiens financiers possibles, afin de ne pas trop paralyser la capacité d’autofinancement. Des factures par centaines de milliers de francs se sont accumulées. Au final, les comptes 2024 laissent apparaître un total de 10,5 millions de francs pour les travaux d’urgence et de remise en état, mais avec 1,8 million à charge de la commune. Pour ce qui est de la sécurisation des cours d’eau, Canton et Confédération couvrent en effet 85% des frais en cas d’intempéries, et Evolène a obtenu 10% supplémentaires en démontrant l’impact des intempéries sur sa future capacité financière.
Fondssuisse et Alpinfra sollicités
Pied à pied, la Migros a accordé une aide d’urgence de 50'000 francs dès juillet 2024. Le Service valaisan de l’agriculture et des améliorations foncières, le Service des dangers naturels, ainsi que l’institution fondssuisse (pour l’indemnisation des dommages non assurables causés par des phénomènes naturels imprévisibles), de l’association Alpinfra (qui aide les communes en zone de montagne sur des projets d'amélioration durable des infrastructures publiques endommagées) et d’autres fondations ont été, ou vont encore être, sollicités. En fonction des aides supplémentaires toujours en discussion, il s’agit de redonner au plus vite aux agriculteurs des surfaces exploitables, tout en respectant les contraintes environnementales (protection des eaux souterraines notamment) et les procédures de subventionnement.
Matériaux inertes contre sols restaurés
A ce stade et très concrètement, pour plus de 920’000 francs, les terrains autour du camping de Molignon ont pu être sécurisés avant le coup d’envoi de la saison touristique. Les sentiers de randonnée ont généralement pu rouvrir. Les matériaux charriés lors des crues sont finalement devenus une ressource pour la remise en état des terres. Et un chassé-croisé de camions redescend en plaine une partie des matériaux inertes déversés par la rivière, remontant, en sens inverse, des terres agricoles pour une remise en végétation très contrôlée. Il y aussi le cas particulier des périmètres protégés par les inventaires fédéraux: zones alluviales, paysages d’importance nationale, etc. Il faut y respecter le nouveau cours pris par la rivière, entre autres ne pas la canaliser par des enrochements. Il faudra aussi reconstruire les chemins d’accès aux parcelles agricoles, en les sécurisant et en garantissant le passage des machines. Les dégâts individuels subis par la cinquantaine d’agriculteurs et par des privés sont pour l’instant chiffrés à 415'000 francs.
Transmettre cette agriculture de montagne
L’Etat du Valais ayant décrété une clause d’urgence jusqu’au 30 juin 2025, les chantiers ont, jusqu’ici, pu être engagés sans en passer par des mises à l’enquête. Mais avec le retour des procédures normales, d’autres travaux ne seront pas finis avant l’année prochaine. La commune bataille, désormais, pour à peine 6 hectares, soit 0,3% de son territoire, mais avec l’ambition d’y allier agriculture et biodiversité, pour la qualité des paysages et le rayonnement de la région, à l’endroit même où est implantée, depuis 2016, l’Hérens Aréna, temple des combats de reines, avec ses tribunes en bois d’une capacité de 2’500 places assises.
Penser lampe à manivelle et réchaud à gaz
Enfin, terminons sur les enseignements de ces événements climatiques extrêmes pour la population elle-même. De façon générale, face à la fonte des glaciers, les élus louent le bon sens des ancêtres qui, contrairement à d’autres villages fortement mis en danger, "avaient privilégié un certain éloignement avec les cours d’eau" (dixit la présidente de commune depuis 2017, et présidente de la Chambre Valaisanne de Tourisme depuis ce printemps, Virginie Gaspoz). Cependant, à côté des adaptations qui devront être discutées auprès des fournisseurs d’énergie et entreprises de télécommunication, elle rappelle très prosaïquement, suite au mètre de neige tombé en une nuit un mois d’avril, "qu’il ne semble plus superflu désormais de s’équiper en réchaud à gaz, radio à pile, lampe à manivelle, etc."
Etienne Arrivé/AGIR

