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Les articles d'AGIR
Backstage au nirvana des vins suisses
Vient un moment, lors d’une journée comme celle-là, où le patron doit tout de même remiser ses Air Max pour sortir les souliers vernis, et son polo-smanicato à l’italienne pour un plus sobre costard-chemise. Pourtant, Nicola Montemarano, directeur du magazine Vinum et, à ce titre, coorganisateur, avec l’association Vinea, du Grand Prix du vin Suisse, nous l’a répété à plusieurs reprises: "Ce qui est joli avec ce gala, c’est que chaque invité peut venir comme il est, comme il le sent. L’événement se veut absolument haut de gamme, mais pour le dress code, c’est robe de soirée, smoking ou bien jeans, c’est à chacun de décider."
Premières impressions
Nous y étions pour notre part dès 13h15, quelque part dans ce plus grand centre de congrès de la région bernoise, avec son immense balcon panoramique donnant sur la vieille ville et les Alpes, et sa non moins impressionnante «arena», quasi 600 convives au parterre à servir ce soir-là, par tablées de 12 disposées en rayon autour d’un écran géant LED de 16 mètres de large. La dizaine de techniciens audiovisuels réquisitionnés le sait bien: "Ça le fait" à chaque fois, et les invités, novices ou habitués, sont d’abord tous scotchés.
1'080 bouteilles à vérifier une par une
A l’arrière, l’équipe de cuisine, 25 personnes, est encore en pause, mais tout le staff marketing, rédaction, production et management de Vinum et Vinea, soit 29 personnes, est, lui, réquisitionné pour une étape incontournable, et encore très humaine: déboucher les 1’080 bouteilles (90 crus, tous médaillés d’or 2025) qui seront servies, vérifier pour chacune que leur vin n’est pas bouchonné ou autre, avant de répartir le tout dans des frigos aux températures choisies. "Imaginez le nombre de professionnels du vin qui seront à table ce soir", explique Nicola Montemarano. "On ne peut pas se permettre de servir un vin blanc à 18°C ou un rouge à 12°C. Contrôler ça pour près de 1'100 bouteilles demande d’y faire un peu attention, mais notre équipe de sommeliers y veille, et ça va fonctionner!"
Des visages pour le vin suisse
Il est confiant Nicola, c’est sa 15e édition, et c’est aussi la 4e pour la présentatrice Mélanie Freymond, qu’il retrouve pour les répétitions en milieu d’après-midi. "On est rôdé, oui, et ce n’est pas du travail à la fin, c’est plutôt agréable car ça devient une soirée entre amis du vin suisse. A ce titre, on n’est pas là pour évoquer les problèmes, on veut du positif, apporter à tous de la motivation. Oui, les jeunes ne consomment plus le vin de la même manière, oui il faut sans doute renouveler notre façon de communiquer, mais, même si on est tous conscients des challenges de la scène viticole nationale, ce Grand Prix, ce gala, servent à lui donner des visages. On veut savoir qui sont les femmes et les hommes qui travaillent derrière, on veut que des personnages s’incarnent aux yeux des consommateurs."
Un trophée identifiable car inchangé
Il y a l’incarnation par le lauréat, et aussi la continuité du trophée, toujours le même au long de ces 19 éditions. "C’est la création d’un artisan saint-gallois, très simple, mais qui est devenue le symbole de ce Grand Prix", souligne Nicola Montemarano. "Si ton vignoble a gagné il y a 10 ans ou il y a 5 ans, on le sait immédiatement quand on voit ce trophée dans ta cave." Une cinquantaine de ces petits totems sera encore distribuée le soir même, la plus prestigieuse récompense étant celle de cave suisse de l’année, catégorie pour laquelle ne peuvent concourir que les domaines ayant inscrit au minimum 5 vins dans au moins 3 catégories différentes.
La moitié des dépenses pour les dégustations
L’ampleur budgétaire de l’opération, avec 3’053 vins inscrits au départ (du jamais vu depuis cinq ans), interpelle forcément. "On ne communique pas de chiffres précis", nous explique encore Nicola, "mais c’est une opération très particulière. Car il y a d’abord 150 jurés à héberger et à nourrir à Sierre pendant une semaine fin juillet. Ce sont ces professionnels qui prennent de leur temps pour juger nos vins, et cette semaine de sélection nous coûte la moitié du budget total. Il y a ensuite une 2nde dégustation, pour le classement final des 6 finalistes de chaque catégorie, qui se déroule en août. Pour le gala, seule une personne par vignoble finaliste est invitée, mais elle peut faire venir jusqu’à dix personnes."
Environ 35% couverts par le sponsoring
"Et après le gala, on poursuit la valorisation des lauréats à travers beaucoup de manifestations, repas, Masterclass, expositions, pop-up festival à la Foire de Bâle, etc. Nos 90 finalistes peuvent y participer gratuitement. Toujours est-il que je peux vous résumer l’enveloppe financière ainsi: environ 35% sont couverts par le sponsoring, 55% par les frais d’inscriptions au gala, et 10% par la vente des macarons que les lauréats peuvent mettre sur leurs bouteilles, qu’ils soient médaillés d’or ou d’argent (cette année 468 crus ont été récompensés par une médaille d'or et 442 par une médaille d'argent, NDLR)."
Des contrats renouvelés chaque année
Osons le calcul à la louche, si chaque participant au gala dépense en moyenne 200 francs, nous sommes donc ici à 120'000 de recettes, ce qui nous amène aux environs de 220'000 francs de budget pour chaque édition. "Au final on ne gagne pas d’argent, mais d’année en année nos principaux sponsors, Coop et Swisswine notamment, maintenant Fors, se réengagent. Pour nous, c’est la preuve que, depuis 19 ans, c’est un projet bien fait, un projet qui met à l’honneur le travail de la filière dans son ensemble. Et, encore une fois, qui lui donne des visages auxquels on peut s’attacher."
Gourmandise pointue mais dépareillée
Arrivent les invités, et toutes les tenues sont effectivement représentées. A l’apéritif avant de passer à table, sur leur 31 ou plus décontractés, tous fondent d’ailleurs sur le stand de fromage d’un nouveau sponsor. Elle est là, la Suisse, unanime dans cette diversité et qui oublie son look: en cubes plus ou moins affinés, en fourchettes qui touillent ou en malakoffs croustillants, la gourmandise est pointue mais sans manière, conviviale avant tout. Et nul ne sait encore qui va gagner!
Une joie éruptive et communicative
Peu avant 23h, au moment où les dirigeants de la Cave La Romaine, à Flanthey (VS) se reconnaissent peu à peu sur l’écran géant qui laisse apparaître le grand vainqueur, cave suisse de l’année 2025, leur joie fait plaisir à voir. Sincère et éruptive, partagée entre le couple dirigeant, Edith et Joël, et la dizaine de leurs collaborateurs présents. Un joyeux chahut s’en suivra sur scène, on se saute dans les bras, se tape dans le dos, sous une trombe d’applaudissements façon concert rock. On vous l’avait dit: le Kursaal, en ce soir de gala, c’est avec un K comme Kurt Cobain.
Etienne Arrivé/AGIR

