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Chiens de protection des troupeaux: la grogne monte face aux tests fédéraux
Avec la présence accrue du loup dans les Alpes et le Jura, les chiens de protection de troupeaux sont devenus une aide essentielle pour prémunir les éleveurs des attaques. Ils complètent d’autres mesures – clôtures, surveillance humaine, parcs nocturnes – mises en œuvre pour sécuriser les animaux de rente.
Leur mission est claire: vivre au milieu des moutons ou des chèvres, surveiller les abords et dissuader les prédateurs. Mais ces chiens doivent aussi être suffisamment sociables pour cohabiter sans heurts avec les randonneurs, de plus en plus nombreux sur les alpages.
Pour garantir cet équilibre, les chiens de protection doivent passer un test d’aptitude. Il permet de vérifier leur comportement, leur fidélité au troupeau ainsi que leur maîtrise face à l’humain. L’octroi de subsides – participation à l’entretien des chiens et indemnisation en cas de prédation sur les animaux de rente – est directement lié à la réussite du test.
Toutefois, depuis la réforme fédérale de l’OChP (Ordonnance sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages), entrée en vigueur début 2025, l’organisation de ces tests provoque la grogne du côté des éleveurs et de certains cantons romands.
Comment c’était il y a quelques années
Pendant des années, la filière des chiens de protection dépendait exclusivement de l’association AGRIDEA, chargée par la Confédération de former les canidés et de valider leur aptitude. Seules deux races étaient alors reconnues: le montagne des Pyrénées et le berger de Maremme et des Abruzzes.
Ce système centralisé fonctionnait de manière relativement fluide tant que la présence du loup restait limitée. Mais avec son expansion rapide, la demande en chiens a dépassé les capacités de formation et d’évaluation d’AGRIDEA. Les listes d’attente se sont allongées, et de nombreux éleveurs n’ont pas pu accéder à la filière officielle.
L’apparition d’une nouvelle filière: Arcadia
Face à cette impasse, le canton du Valais a pris l’initiative de créer en 2023, en collaboration avec l’association Arcadia, un test d’homologation cantonal complémentaire. Objectif: former et reconnaître davantage de chiens, y compris issus d’autres races aptes à la protection.
"L’offre en chiens de la filière fédérale ne répondait pas à la demande", explique Christine Cavalera, responsable de la protection des troupeaux au Service valaisan de l’agriculture. "Les agriculteurs et le canton ont donc été proactifs en proposant une filière cantonale."
"Avant la nouvelle révision de l’OChP, les chiens qui ne provenaient pas des lignées officielles n’étaient pas autorisés à passer le test", ajoute Malika Pannatier, préposée à la protection des troupeaux dans le canton de Vaud. "Pour nous, il était important de ne pas exclure les détenteurs d’autres races."
Les tests Arcadia, proposés d’abord par le Valais puis adoptés par le canton de Vaud, ont ainsi permis d’ouvrir la porte à de nouveaux profils. Des cours préparatoires accompagnaient également les éleveurs pour leur permettre de mieux comprendre le comportement et l’intégration des chiens aux troupeaux, tout en travaillant leur socialisation aux humains.
Par ailleurs, ce test cantonal, même s’il ne bénéficiait pas d’une reconnaissance fédérale, ouvrait l’accès à des aides pour l’entretien des chiens et à des indemnisations en cas de prédations sur les troupeaux, financées en partie par la Confédération, de l’autre par les cantons concernés.
La Confédération ne veut plus de tests cantonaux
Mais, fin 2024, le couperet tombe. Berne annonce, dans le cadre de la révision de l’OChP, qu’elle ne reconnaîtra pas, ni à court ni à moyen terme, les tests cantonaux menés par Arcadia, malgré les demandes réitérées des cantons. Cette décision met alors un terme définitif à la période transitoire. Depuis 2025, c’est à nouveau la Confédération seule qui homologue les chiens après leur réussite au test EAT (évaluation d’aptitude au travail), conduit par AGRIDEA sous mandat de l’OFEV (Office fédéral de l’environnement). L’objectif étant d’uniformiser les critères et de garantir une qualité identique sur l’ensemble du territoire. Mais sur le terrain, la réforme suscite d’importantes critiques.
"Le test fédéral proposé ne tient pas compte des conditions actuelles du terrain", déplore Christine Cavalera. "Les chiens sont évalués seuls, dans un alpage inconnu, alors que dans la réalité, ils travaillent toujours en binôme, sous surveillance humaine."
Ainsi, en Valais toujours, 43% des chiens qui ont passé le test ce printemps ont échoué. "Comme on vient de le dire, le test EAT ne tient pas compte des réalités du terrain et n’évalue pas les chiens dans leur véritable environnement de travail. Un chien ne se comporte pas de la même manière lorsqu’il travaille en binôme sur son alpage, conformément aux exigences de l’OFEV." "De plus", ajoute Christine Cavalera, "la fidélité au troupeau, évaluée sur 24 heures dans un alpage inconnu lors du test fédéral, ne peut représenter fidèlement la réalité du travail. Pourtant, ces chiens donnent entière satisfaction lorsqu’ils évoluent dans leur environnement de travail habituel."
Même constat, côté vaudois. "Aujourd’hui, il n’existe plus d’alpages où des chiens se trouvent seuls, sans présence humaine ni clôture", confirme Malika Pannatier. "Or, c’est précisément le scénario du test." De plus, cet examen est jugé risqué. "L’absence de loups n’est pas garantie: le chien se retrouve isolé avec quelques brebis dans un lieu inconnu. C’est dangereux pour lui comme pour les animaux, chiens et moutons."
À cela s’ajoute un problème technique: le test fédéral ne s’applique pas aux chiens travaillant avec des bovins, ce qui prive plusieurs exploitations de reconnaissance officielle.
Des conséquences concrètes pour les éleveurs
Cette nouvelle uniformisation a eu des effets immédiats. Les chiens qui avaient été testés au niveau cantonal ne bénéficient plus de soutiens financiers de la part de la Confédération. "Pour que les animaux prédatés puissent être indemnisés et que les détenteurs bénéficient du soutien fédéral, les chiens doivent réussir le test fédéral", précise Christine Cavalera.
Le canton du Valais a toutefois décidé d’assumer la transition: "En attendant une solution satisfaisante, nous reconnaissons les chiens testés selon la procédure cantonale et prenons à notre charge les subventions qui ne sont plus assurées par Berne."
Quelle suite?
Aujourd’hui, les deux cantons concernés ont proposé à la Confédération d’adapter son dispositif. "Le canton du Valais a transmis à l’OFEV et à AGRIDEA des propositions concrètes et un soutien pour leur mise en œuvre", confirme Christine Cavalera. Même discours dans le canton de Vaud: "Nous souhaitons que le test soit réalisé dans des conditions réelles et moins contraignantes pour les exploitants", insiste Malika Pannatier.
Les deux responsables cantonales rappellent également l’importance de ces chiens dans la stratégie nationale: "Pour le canton du Valais, les chiens de protection représentent une aide précieuse pour les bergers, même si les conflits avec les autres usagers de la montagne peuvent être très importants. Le service de l’agriculture s’investit pleinement et de manière proactive à la résolution de ces problèmes", conclut Christine Cavalera.
"Les chiens de protection sont une mesure comme les clôtures", renchérit Malika Pannatier, tout en rappelant: "il ne faut toutefois pas oublier qu’il s’agit d’êtres vivants et que tout le monde n’a pas la fibre canine. Ce n’est donc pas une mesure magique qui peut être prise par n’importe qui. Mais il est donc primordial que les éleveurs ayant la volonté de travailler avec des chiens puissent les officialiser et travailler avec."
Pascale Bieri/AGIR
