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Les articles d'AGIR
Du restaurant d’entreprise à l’action sociale
Ok, vous n’allez peut-être pas faire un carton auprès de vos enfants avec cet argument, mais, vous le savez aussi, on voit les choses tout différemment quand on est adultes. Chez Novae Restauration, depuis 2016, un «fonds de soutien en faveur du patrimoine agricole local» a, par exemple, permis de commercialiser des «légumes moches», c’est-à-dire hors calibre du point de vue de la grande distribution. Quoi? Du concombre, du céleri… et en plus, pas joli?
Partenaires de développement
Allons allons, écoutez plutôt Vincent Keuffer, 38 ans, maraîcher à Bremblens (VD), associé à sa sœur Noémie, 36 ans, et à son frère Frédéric, 39 ans, pour développer l’entreprise familiale, 106 hectares, dont 9,5 sous serres: "Nous cherchions des solutions pour valoriser l’ensemble de notre production biologique, même des légumes qui sont trop petits, trop grands, et qui intéressent moins les consommateurs. On avait le désir d’ouvrir un laboratoire de transformation dit «de 4e gamme», et Novae, qui était déjà notre partenaire d’achats, nous a écouté et soutenu dans le projet."
Un revenu au lieu de gaspiller
Ainsi est née une «légumerie», très efficace contre le gaspillage alimentaire puisqu’il s’agit d’un atelier de transformation pour ces légumes et ces fruits, où l’on coupe, lave et prépare pour qu’ils soient prêts à être cuisinés. "On l’utilise pour notre propre production", poursuit Vincent Keuffer, "mais aussi, au cas par cas, si d’autres producteurs nous approchent. On a eu plusieurs exemples cette année, de lots de courgettes trop grosses, dont on peut pourtant faire des cubes pour les ratatouilles, ou de pommes de terre esthétiquement pas parfaites. On a pu les peler et en tirer un revenu, alors qu’elles auraient autrement été données, ou juste pas récoltées."
Restauration gastronomique
Novae Restauration, qui a octroyé un prêt sans intérêt à ce projet, c’est par ailleurs une entreprise qui compte, et qui monte, dans le paysage des cantines suisses. Fondée en 2003 par quatre anciens de la Coop, elle a misé sur le sur-mesure, avec trois grands principes: l’autonomie des gérants, la qualité et le fait-maison. Pas de centrales d’achats ni d’intermédiaires, les chefs travaillent directement avec les producteurs. Ses clients sont des sociétés privées, des écoles et des institutions de santé.
766 collaborateurs et 150 exploitations partenaires
Novae fait désormais tourner une centaine de restaurants en Suisse, sert 35'200 repas par jour et emploie 766 collaborateurs (environ 715 EPT), avec 150 exploitations agricoles sous contrats. L’entreprise est basée à Gland (VD), elle est très présente dans l’arc lémanique, mais perce dans presque tous les cantons romands, ainsi qu’à Zürich et Bâle. Elle reste plus petite que ses concurrents Eldora, le SV Group (également présent en Allemagne) et Compass (un peu partout dans le monde). Quant aux quatre associés fondateurs, ils ont vendu leurs parts au groupe Sodexo, propriétaire de Novae depuis 2018.
Mieux qu’un prêt bancaire
Mais revenons à la légumerie de la famille Keuffer. "En plus du prêt sans intérêt, nous nous engageons à acheter pour nos restaurants les produits issus de ces projets-là", précise Laura Chatel, 36 ans, directrice Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE) de l’entreprise et désormais présidente du conseil de la fondation Novae. "Il s’agit d’atténuer la prise de risque pour l’exploitant, au moment où il doit rénover sa ferme, refaire un enclos ou créer, ici, une légumerie. On l’a d’abord brièvement fait via la plateforme de crowdfunding Yes We Farm, qui aujourd’hui n’existe plus, et maintenant sous forme de prêt. Ces sommes seront remboursées suivant un échéancier assez flexible, mais avec, derrière, cet objectif de livraison de la production."
Clarifier les choses
A côté du soutien aux projets agricoles, Novae organise régulièrement des repas solidaires (par exemple avec le service d’aide familiale de Morges, deux fois par an), s'adresse aux personnes en situation de handicap, ou fabrique des soupes avec ses invendus au profit des banques alimentaires. L’année dernière, entre 15 et 20% de ses effectifs ont participé à au moins l’une de ces opérations. Mais les financer via un simple fonds commençait à toucher ses limites juridiques. Novae Restauration a donc créé, en septembre, une structure annexe, avec une gouvernance propre, des missions claires cadrées par le statut de fondation, contrôlées chaque année via un rapport d’activités. "On s’est dit que c’était le bon moment pour clarifier les choses", explique Laura Chatel.
Des entreprises pourraient devenir donatrices
"On bénéficie pour l’instant d’un budget annuel de 150'000 francs à répartir sur trois ans, mais certaines de nos entreprises clientes apprécient nos actions de solidarité, et pourraient devenir donatrices de notre fondation. Tant que tout était internalisé au sein de Novae, il n’était pas question de faire ça, mais on imagine qu’ainsi il y a plein de possibilités pour augmenter l’ampleur de ces actions-là. Le conseil de fondation va tout prochainement procéder à des arbitrages pour définir nos premières priorités 2026."
Fontaine à yogourt fribourgeoise
"Certains exploitants ont parfois l’idée, mais ne peuvent pas la faire aboutir", défend encore Vincent Keuffer. Et Laura Chatel de compléter: "On essaie de développer des partenariats en cohérence avec la localisation de nos restaurants. Qu’ils correspondent aussi avec la culture culinaire de la région. Typiquement, à Fribourg, on soutient un projet de fontaine à yogourt, avec la fromagerie Mesot, car on estime que ça peut plaire au consommateur fribourgeois tout en étant ultra local. On le fait d’abord dans la région de Fribourg, puis on verra s’il y a un intérêt pour la diffuser ailleurs. On essaie donc d’avoir toujours cette logique du rayon d’action autour du restaurant."
Confiance et test qualité
Le label n’est alors pas la seule ligne de conduite. "Notre modèle, avec des chefs cuisiniers qui font partie de notre département achats, nous permet parfois de nous affranchir d’une exigence label, du fait que l’on connait les producteurs. On vient directement discuter avec eux, on se soucie de l’avancement des cultures, des conditions d’élevage des animaux, avec des principes clairs. On estime alors que la relation de confiance et le test de qualité du produit valent parfois pour un label. Cela dit, les exigences du bio peuvent être recherchées par certaines entreprises clientes, ça plait mais ce n’est pas une règle absolue."
La traversée du COVID en cordée
Côtés agriculteurs, le bouche à oreille fonctionne bien. Si AGRI Fribourg vient d’annoncer une appli pour mieux mettre en relation les acteurs de la lutte contre le gaspillage alimentaire, Novae n’en ressent pas forcément le besoin. "On est de bons acheteurs", poursuit la présidente de fondation. "Eleveurs et maraîchers le savent, mais aussi des artisans, torréfacteurs pour le café, boulangers, etc. Ça leur fait de jolis débouchés. La traversée du COVID a été un bon test pour la solidité de nos relations, car nous n’avions plus rien à acheter faute de consommateurs dans nos restaurants. Il y a aujourd’hui encore des fluctuations saisonnières, et c’est dommage pour nos producteurs qui ont le plus à vendre en été, quand les salariés et les scolaires sont en vacances."
Un laboratoire 5e gamme pour les sauces
Rien d’irrémédiable, car la fondation s'y penche déjà: "On réfléchit à financer des équipements pour conserver ces denrées qui peuvent être actuellement gaspillées en saison. Typiquement pour faire de la sauce tomate. Ici la légumerie pourrait ainsi se transformer en laboratoire «5e gamme» qui ferait de la sauce tomate pasteurisée avec des ingrédients qui ne peuvent pas être découpés. On sait que pour nos partenaires, ces réalisations constituent parfois des questions de survie."
Plein de projets, donc, à condition de réunir des fonds suffisants. "Pour ce faire, on pourrait imaginer monter, comme pour d’autres causes, un dîner de gala", anticipe Laura Chatel, "ou encore aller demander de l’argent à d’autres fondations, à d’autres grands mécènes qui pourraient être intéressés par notre manière de travailler. On est encore au début de l’histoire!"
Etienne Arrivé/AGIR

