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Les articles d'AGIR
Faire goûter, pour devenir élèves en durabilité
Au Festival Terroir Suisse de Courtemelon (JU), il y a encore et toujours les bâtisseurs de ponts, entre agriculture et citoyens, entre villes et campagnes... et au milieu les adultes de demain. Vendredi dernier à Delémont, au fil d’une journée entière de conférences, dans la plus grande salle de cinéma de la capitale jurassienne, le défi revenait souvent à motiver cette jeunesse pour qu’elle participe activement à ces ponts.
Vaches et patates du McDo
Assis à côté des décideurs, politiques et institutionnels, venus de toute la Romandie et au-delà, et des porteurs de projets (Agridea, Swiss Food Research, Cluster Food Nutrition, Agro-Marketing Suisse, Beelong.ch, UNIL, Université de Strasbourg), ces élèves étaient là, ceux de 3e année en CFC d’agricultrice et agriculteur de la Fondation rurale interjurassienne (FRI), mais aussi du lycée cantonal et de l’école de commerce du Jura. Certains ont même donné un aperçu de leurs propres réflexions, travaux menés à l’occasion des 50 ans de la chambre jurassienne d’agriculture AgriJura.
A la pause de midi, en regard (ou pas) de la durabilité alimentaire abordée sur scène sous tous ses aspects, certains se sont autorisé un détour par le McDo le plus proche. "Ils ont voulu valoriser les bas morceaux", s’est amusé, pour prêcher le vrai, l’un des intervenants. "Ils ont raison", s’est émue une autre voix dans le public, "car, en dehors de l’aspect malbouffe, niveau hygiène ils sont au top, et pour nos patates comme pour nos vaches laitières en fin de parcours, sans cette enseigne on est morts!"
"Cuisiner suisse, c’est durable"
C’était en effet l’un des enseignements involontaires des exposés sur le local et la durabilité: sous réserve d’une obligatoire question d’équilibre (lire notre article sur la récente Journée de l’industrie alimentaire suisse), le fait de se fournir en patates suisses et d’utiliser la viande dite «de réforme» va plutôt dans le bon sens. On le retrouve dans le message central d’Agro-Marketing Suisse, association qui réunit une trentaine d’interprofessions et d’organisations de producteurs: «Plus une entreprise cuisine avec des produits suisses, plus elle sera durable». Comment le justifier? "Parce qu’en Suisse", explique son gérant Denis Etienne, "la surface dédiée à la biodiversité augmente, tandis que l’utilisation des pesticides diminue, celle des antibiotiques aussi. Avec des normes parmi les plus strictes au monde, la production conventionnelle suisse correspond quasiment au bio à l’étranger. Et de nombreux programmes d’élevage suisse vont dans le sens de la protection des animaux. Si bien que 82% des consommateurs ont confiance dans les produits agricoles suisses."
Vers des menus 50% régionaux et 25% bio
Certes l’exemple du géant américain n’est pas le meilleur possible. Les plus remarquables programmes actuels en matière de durabilité sont menés dans les cantines des structures étatiques et paraétatiques. Exemple en a été donné dans le Jura, suite à l’adoption par le Parlement, en 2021, d’une motion du député centriste, et actuel directeur d’AgriJura, François Monin. Le canton a ainsi rejoint le programme «Cuisinons notre région», une charte imaginée dès 2016 par le Valais, et qui définit des critères en faveur d'une alimentation durable, équilibrée et basée sur davantage de produits régionaux. Cette démarche a progressivement été adoptée par les cantons romands et le Tessin, et commence à se déployer.
Le «centre névralgique» des établissements
Ainsi depuis août 2023 dans le canton de Jura, trois établissements scolaires, sous la supervision de la FRI, s’emploient à viser 50% d’approvisionnement en produits régionaux et 25% en produits bio à leurs menus. "Ce projet-pilote est actuellement déficitaire", a relevé le directeur de la FRI Olivier Girardin, "mais des corrections ont été mises en œuvre cette année". "Nous avons besoin du soutien des directeurs d’établissements, et bien sûr de la motivation des élèves. Le restaurant, c’est un peu le centre névralgique de la scolarité, un lieu de convivialité susceptible d’apporter une dynamique en cours, quand les élèves ont bien mangé." Problème, celui qui est aussi président du comité du Festival Terroir Suisse a souligné que seuls 50% de l’alimentation des élèves étaient fournis par leur cantine, le reste provenant de l’extérieur, des kiosques par exemple. Toujours est-il qu’après deux ans de mise en œuvre, "on est actuellement, en moyenne, à 33% de provenance régionale et 10% de bio. La bonne coordination entre les cuisiniers et les groupements de producteurs est ici décisive."
La comm’ n’est pas décisive
Voici qui nous mène à l’exposé sans doute le plus marquant de cette journée: en matière d’alimentation, les choix les moins durables sont perçus comme les plus «funs» et accessibles. Comment faire pour réellement changer de comportements? C’est Stéphanie Amstutz qui l’a esquissé, elle qui est aujourd’hui responsable communication et marketing de la Fondation O₂, une entité jurassienne para-publique créée en 2009 pour la promotion et la prévention de la santé. En matière alimentaire, c’est cette fondation qui défend le label Fourchette verte dans le canton du Jura. Pour Stéphanie Amstutz, "il est bien rare que l’on abandonne une routine suite à une campagne de communication". "Il faut plutôt partir des motivations profondes de chacun, et identifier puis lever les barrières qui nous retiennent d’effectuer un autre comportement, quand bien même ce comportement correspondrait à notre souci de l’intérêt social." Etudier ces freins, mais aussi encourager les leviers favorables, ce serait donc investiguer le «marketing social».
Lever les freins, encourager le positif
Dans le but d’augmenter et de fidéliser la fréquentation du post-obligatoire jurassien (les élèves de 15 à 19 ans), la Fondation O₂ a ainsi mené l’enquête. Il en est ressorti que plaisir et goût sont une priorité, de même que la satiété, la convivialité, le prix, l’équipement des restaurants. A l’inverse, parmi les freins sont cités l’incertitude face au goût des plats, voire une aversion à toute prise de risque, la notion «anti-gaspi» connotée négativement, le rejet du végétarien ou d’aliments nouveaux ou perçus comme «bizarres» telles les lentilles, enfin la concurrence des tupps maison et… du fast-food. Avec pour certains, et cela se respecte, l’envie de sortir du cadre scolaire à la pause de midi.
Parmi les nombreuses pistes d’interventions citées par Stéphanie Amstutz figurent alors des animations et dégustations, impliquant et responsabilisant les élèves, pourquoi pas directement dans les files d’attentes du restaurant. Pour un plaisir immédiat, subtilement éducatif, vu comme la meilleure des réponses à nos craintes. Ou comment traduire la durabilité en bénéfices concrets et immédiats.
Etienne Arrivé/AGIR

