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Les articles d'AGIR
Félix, Claudine, Michel et ma pomme
Un oranger sur le sol irlandais, on ne le verra jamais. Mais un vieux pressoir dans le vallon de St-Imier, toujours on pourra y aller. Près de la rivière (La Suze), lui aussi "bat comme un cœur plein de joie", puis vous raccompagne nimbé dans cette mélodie d’antan. Il faut dire que le président de la société d'arboriculture de Courtelary-Cormoret et environs, Félix Lutz, est médecin anesthésiste dans le civil… "Attention, je les réveille aussi, les patients!" plaisante-t-il en forme de ponctuation.
Au temps du feu de bois
Dans ce paisible village, sur les terres de la Tête de Moine et des chocolats Camille Bloch, le pressoir est en ce moment en travaux, sols, murs et portes. C’est une très modeste bâtisse, et dans un autre monde, au XIXe siècle, elle servait d’abattoir pour le boucher du coin. Pourtant, de mémoire d’hommes, on y a toujours pressé des fruits. "J’y venais enfant avec mon père, et on pasteurisait en apportant notre bûche de bois pour chauffer l’eau", se souvient Claudine Paratte, aujourd’hui membre du comité de la société. Faute d’atteindre la température requise de 78 degrés, les jus fermentent et deviennent cidre puis vinaigre, ou peuvent être distillés pour la fabrication du calvados. Claudine encore: "Moi j’habite Cormoret, j’ai cinq pommiers, et j’ai toujours gardé l’habitude de venir ici, mais avec des méthodes de fabrication beaucoup plus modernes désormais".
Sur avis d’un contrôleur bernois
Le dernier achat d’équipements, pour environ 35'000 francs dont la moitié subventionnée par la Fondation rurale interjurassienne, remonte à une quinzaine d’années, avec l’acquisition d’une presse à paquets modèle 100 P2 de marque autrichienne, et d’un appareil de pasteurisation du jus en quelques secondes, suisse celui-là. Ils sont actuellement en révision à Brittnau (AG) car, à la fin de la saison dernière, c’est-à-dire vers la fin novembre, une mise aux normes sanitaires a été ordonnée. "Même si ça ne changeait rien pour notre jus, on savait depuis 5 ou 6 ans qu’il allait falloir refaire le sol, vestige d’une autre époque", raconte Félix, "et c’est à l’occasion d’une visite d’inspection du Laboratoire cantonal bernois qu’on nous l’a imposé."
Fête et spectacle de soutien
Un projet beaucoup plus important, avec panneaux solaires et toilettes, pour un devis de 370'000 francs, n’avançait pas, depuis plusieurs années, auprès du Canton et de la Confédération. "On a donc décidé d’engager tout de suite le minimum, et il y en a pour 140'000 francs. Une entreprise lucernoise spécialisée a été mandatée" précise Félix. "La banque a accepté de nous prêter 80'000, nous mettons 20'000 de fonds propres, et il s’agit donc de réunir les 40'000 restants", détaille encore Michel Tschan, le caissier du comité. "Pour ce faire on accueille tous les dons, on propose aussi des prêts, et on sera sur deux événements: la fête du village les 22 et 23 août, et une soirée spectacle de soutien, le 4 octobre, à la salle communale de Courtelary."
La récolte 2018 avait rempli les caisses
"Nos réserves financières fluctuent", enchaîne Félix. "On était locataires de ce pressoir jusqu’à ce que la commune nous le vende au prix d’une démolition, soit 35'000 francs, à l’occasion du projet avorté de fusion des cinq villages du vallon, fin 2020. On avait beaucoup de fonds propres à ce moment-là, parce que l’année 2018 avait été extraordinaire: on avait pressé 55'000 litres, contre 25'000 une année moyenne." Cette alchimie météorologique garde sa part de mystère: les arbres qui croulent sous les fruits et les branches qui cassent parfois sous leur poids dépendent d’un beau temps régulier, mais sans trop de chaleur, sans gel tardif ni grêle entre mai et juin. "Et puis pas trop de bise au moment de la pollinisation", ajoute Michel.
Ramassage et poids des ans
"C’est un endroit qui compte, on a quand même assuré la moitié de la production de tout le Jura bernois l’an dernier", se réjouit Félix. "Sachant qu’existent encore des pressoirs à Corcelles-Crémines, Orvin, Sonvilier et Pom’Pom à Tavannes. Mais notre créneau étant, en partie, le service direct aux particuliers, on a un problème pour ramasser les fruits. Notre société, qui a pu compter jusqu’à 400 membres, n’en a plus qu’une soixantaine. Les propriétaires d’arbres fruitiers vieillissent, souvent ils n’ont plus la force de s’en occuper et on a du mal à leur venir en aide."
Le label PNR Chasseral doit patienter
Ainsi le Parc naturel régional Chasseral, dont Courtelary est membre et qui aimerait pouvoir commercialiser du jus 100% Jura bernois, tente de mobiliser, mais Félix en garde, pour l’instant, un souvenir amusé. "Soit on nous a mis à disposition des écoliers trop jeunes, de 6 ou 7 ans, soit on n’a pas réussi à intervenir sur les 2 ou 3 jours optimaux pour la récolte. Il faudrait pouvoir réunir un groupe de bénévoles dédié, des passionnés, jeunes ou même sexagénaires, c’est la prochaine étape!"
«Vous avez des pommes, poires ou autres fruits? Buvez-les!»
Justement, admettons maintenant que nous soyons intéressés, et prenons au mot le slogan affiché à l’entrée: «Vous avez des pommes, poires ou autres fruits? Buvez-les!» La société accepte les clients -deux cents environ chaque année- même quand ils ne sont pas membres. Les tarifs sont abordables, mais doivent être calculés au cas par cas suivant une grille de critères qu’on ne détaillera pas ici. "Normalement pour faire marcher la machine, il faut au minimum 100 kilos de fruits. Mais on vous accepte à partir d’une caisse en bois standard, soit à peine 30 kilos", explique Félix.
Double nettoyage pour le raisin
"Presser pommes sur pommes ce n’est pas un problème", ajoute Michel, "et même pommes sur coing ou pommes sur poires ça passe. Tant qu’il y a moins de 10% d’un autre fruit, ça reste du jus de pommes. Quand les gens amènent du raisin, il faut avouer que c’est plus compliqué. Il faut tout nettoyer avant, puis après. Pour l’instant on facture la même chose, mais on va peut-être revoir ça." Plus de 90% des fruits pressés ici sont des pommes, contre 6% de coings, 3% de poires et à peine 30 litres de raisin.
Chaque année entre Hong-Kong et Courtelary
Entre la mi-septembre et la mi-novembre, on presse lundi, mercredi et éventuellement vendredi. Et le lendemain, une fois que le dépôt peut être éliminé, on pasteurise. A côté du jus pour les particuliers, la société presse des stocks de fruits achetés ou donnés, puis revend sa production dans les commerces du coin. Elle peut compter sur l’appui de quelques bénévoles, avec un responsable technique… venu de Hong-Kong! "C’est un pote d’enfance", s’amuse Michel. "Il s’appelle Jocelyn Etienne et travaille en Asie comme mécanicien-électricien sur les enseignes lumineuses. Il vient passer trois à quatre mois par an à Tramelan, pour voir sa mère, et nous accompagne pour la saison."
Le relais de la jeunesse
Reste finalement à mobiliser la relève. "On dit que les jeunes sont un peu plus sensibles aux produits naturels, et je vois que ceux qui construisent leur logement ne manquent pas de planter des arbres fruitiers" se réjouit Michel. "Pour eux cela prendra quelques années, mais quand la récolte est bonne, vous êtes tout de suite récompensé, car les quantités sont vraiment importantes. En prime, pour moi qui tiens un commerce librairie-papeterie-jouets à Tramelan, qui assure aussi des livraisons alimentaires quatre matins par semaine vers Neuchâtel, le principe du pressoir me fait du bien. Vous triez vos fruits, vous enlevez ceux qui sont pourris, et vous constatez par vous-même que la qualité s’en ressent. C’est très gratifiant!"
Etienne Arrivé/AGIR
Pour aider le pressoir de Courtelary ou/et y faire vos propres jus: 077 410 70 60.

