Main Content
Les articles d'AGIR
Fribourg vu comme pôle d’attraction agroalimentaire
Didier Castella, le ministre fribourgeois de l’agriculture, des institutions et des forêts, pourrait faire sienne l’adaptation en français du What’d I Say de Ray Charles: «Est-ce que tu le sais, dis-moi?» Dans son canton bilingue, c’est d’ailleurs sous l’anglophone appellation Fribourg Agri&Food que le Gruérien défendait en conférence de presse, le 12 novembre, les premières réalisations de la stratégie agroalimentaire validée par son Conseil d’Etat en 2021.
Un écosystème unique en Suisse
Conscient d’un certain manque de visibilité médiatique, nous l’avions justement rencontré il y a un an pour en parler (notre entretien), et il a donc réitéré le message à la Haute école d’ingénierie et d’architecture du canton de Fribourg (HEIA-FR), accompagné par ses collègues Sylvie Bonvin-Sansonnens (directrice de la formation et des affaires culturelles) et Olivier Curty (directeur de l'économie, de l'emploi et de la formation professionnelle): toute la Suisse doit le savoir, il y a des opportunités d’implantations et de synergies pour les entreprises, autant que des études et des carrières à mener pour les jeunes et les chercheurs, dans un secteur en plein essor, celui qui doit guider notre façon, durable, de nous alimenter à la mi-temps d’un 21e siècle marqué par le changement climatique.
Finances publiques et effets de levier
Pourtant, ce qui domine l’actualité politique fribourgeoise ces temps-ci, c’est plutôt l’austérité budgétaire, avec un plan d’économies de 405 millions de francs sur trois ans, négocié devant le Grand Conseil début octobre mais aussitôt attaqué par référendum (le peuple tranchera, au plus tôt, en juin prochain). Si les représentants du Gouvernement ne se voient pas faciliter les choses en termes d’investissements, ils ont crânement défendu leur ambition d’"enrichir l’écosystème fribourgeois", de "déclencher des effets de levier", et de "confirmer le chemin et les financements" pour une "vision unique en Suisse qui rassemble formation, recherche et entreprises".
De Posieux à St-Aubin
Il est indéniable que bien des projets sont actuellement à bout touchant. "Un campus sort de terre sur le site de Grangeneuve à Posieux", a souligné Didier Castella, "avec notamment l'arrivée de la station de recherche Agroscope sur notre historique centre de formation et de conseil agricoles. Et un autre campus, AgriCo, axé startups et industrie, avance à St-Aubin dans la Broye, autour du grand projet d’abattoir Micarna." Avant d’ajouter, histoire de défendre, face aux oppositions, sur un marché de la viande de poulet qui recourt bien trop largement aux importations, les améliorations prévues dans les conditions d’élevage ou la gestion de la ressource en eau: "Notre slogan reste le même: produire mieux oui, produire moins non".
Trois axes pour un immense potentiel
Lors de la conférence de presse, pour donner corps aux avancées déjà obtenues, trois porteurs de projets ont illustré les trois axes soutenus financièrement par le canton. Ainsi la valorisation de la biomasse (comprenez ici la matière organique d'origine végétale et animale qui peut être convertie en énergie) était incarnée par le professeur de la HEIA-FR Vincent Bourquin, qui explore avec Wheydrogen (contraction de «whey», «petit-lait» en anglais, et d’hydrogène) la transformation, en hydrogène donc, d’un résidu de la fabrication fromagère. Avec en prime l’ambition de valoriser le phosphate et l’ammoniac restants, sous forme d’engrais par exemple.
Désherbage intelligent et anti-phytosanitaire
Le second axe encouragé par les Fribourgeois, c’est l’implémentation des technologies numériques dans l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Et pour l’illustrer, voici ce robot, en passe d’être commercialisé, qui, à l’avant d’un tracteur, remplace le désherbage chimique ou manuel de la très pénible rumex, cette plante envahissante sans valeur fourragère, dont les racines peuvent atteindre un mètre de profondeur, une plaie bien connue de toute famille paysanne. La machine a été développée par le jeune ingénieur fribourgeois et agriculteur bio Edouard Overney, avec l’appui, pour les parcelles et le matériel de la phase test, de la Ferme école de Sorens de l’Institut agricole de Grangeneuve, ainsi que, pour la technique, de la Haute école d’ingénierie et d’architecture du canton de Fribourg.
Electrocution ultraciblée
Sur le principe, cette fourche à rumex électrique (dont l’algorithme pourrait être entraîné sur d’autres espèces nuisibles) détecte la jeune plante en combinant vidéo et intelligence artificielle, puis l’électrocute, par contact des feuilles et des racines, de façon ultraciblée, détruisant ses cellules en 250 millisecondes. Testée comme efficace à 96%, cette «révolution anti-phytosanitaire» dixit la plateforme Fribourg Agri&Food, s’est vue octroyer un chèque innovation de 15'000 CHF dès 2023. Le soutien financier du canton se poursuit aujourd’hui, et l’industrialisation de l’équipement est confiée à l’entreprise Zbinden Posieux SA, pour une mise sur le marché au tarif des actuels pulvérisateurs de phyto qu’il tend à remplacer.
Le «consom’acteur» également sollicité
Enfin troisième axe de la stratégie fribourgeoise, «consom’acteurs & innovation». il s’agit là d’impliquer le citoyen dans l’élaboration de solutions et d’aliments sains et durables. Lors de la conférence de presse, c’est le projet ALI Impact, basé à Grangeneuve et conduit par Maurine Mabillard, qui a été expliqué, avec son étude sur les leviers psychologiques et marketing susceptibles d’encourager des choix alimentaires durables dans la restauration collective. Dix leviers ont ainsi été identifiés, susceptibles "d’améliorer la santé physique et mentale, notamment des jeunes", de "favoriser des comportements alimentaires durables au quotidien" et de "diffuser des pratiques à l’échelle nationale". On rejoint ici des préoccupations en ce moment explorées, à juste titre, un peu partout en Europe (cf. notre article sur la récente conférence internationale de Delémont).
Trois directions intéressées à médiatiser ces résultats
Ainsi va le navire de l’innovation alimentaire fribourgeoise, quatre ans après l’adoption de sa stratégie d’ensemble, et douze mois avant le renouvellement de ses autorités. Des financements publics (au total 4,8 millions engagés pour 27 projets), et une palette de services d’accompagnement, assurés tant par des chercheurs et que par des acteurs économiques. Devant les médias, c’est le ministre Olivier Curty qui a eu le dernier mot: "Oui il y a des élections l’année prochaine, et nous ferons bientôt notre bilan de législature. Mais vous remarquerez que sur ce dossier on a pris un peu d’avance et on est venus à trois (le centriste Curty, la verte Bonvin-Sansonnens et le PLR Castella), car cette stratégie est portée conjointement par nos trois directions". Et que chacun veut, en quelque sorte, se donner une chance de médiatiser les succès concrets obtenus jusqu’ici.
Etienne Arrivé/AGIR
Plus d’info: www.fribourg-agrifood.ch

