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Les articles d'AGIR
Loup: souffrir par lui, c'est bien souffrir
A tour de rôle en Suisse romande, des éleveurs témoignent de leur effroi, bien plus encore que de leur fatigue, à devoir composer avec les attaques régulières du loup sur leurs troupeaux. Il y a quelques jours, ce sont les Neuchâtelois qui se sont fait entendre: dans la vallée de La Brévine, les prédations sont en effet de plus en plus fréquentes depuis début août, et la Confédération ne vient d’autoriser que le tir de quatre des six jeunes de la meute. Les garde-faunes cantonaux espèrent y parvenir d’ici fin janvier, mais ils ne peuvent pas intervenir en cas d’attaques des loups adultes.
"Ne pas ignorer une claire réalité"
Ce cas de figure est symptomatique de la loi révisée sur la chasse, entrée en vigueur au 1er février, et sur laquelle de premiers enseignements ont été échangés lors de la 2e rencontre 2025 du Club agricole de l’assemblée, au Casino de Berne. Les exposés du biologiste Marcel Züger et de la responsable valaisanne pour la protection des troupeaux Christine Cavalera ont particulièrement retenu l’attention. Parmi les rares Romands à s’être déplacés, les conseillers nationaux UDC Nicolas Kolly (FR) et Thomas Stettler (JU), et leur homologue Vert Christophe Clivaz (VS). "C’est bien qu’il y ait ici des élus hors monde agricole", souligne Thomas Stettler, "même si Christophe Clivaz s’est probablement bouché les deux oreilles et le nez. C’est bien d’être curieux, car il ne faut pas ignorer ce qui est une claire réalité."
Des pâturages bousculés
"Dans les exposés du jour", poursuit l’agriculteur jurassien (dont la famille dirige la ferme du Hasenburg depuis 1925), "on a senti une nouvelle dynamique pour attaquer ce problème de la part de l’Office fédéral de l’environnement, sous l’impulsion de l’UDC Albert Rösti. Quant à ce biologiste, Marcel Züger, au départ pro-loup, il nous a démontré comment la rapide colonisation de notre région par des loups a pu bousculer la biodiversité telle qu’on l’entendait depuis au moins 500 ans. Si on amène moins de bétail à l'estivage, ou que l'on se résout à des désalpes anticipées, c'est bien toute notre tradition d’exploitations agricoles extensives sur les pâturages qui est remise en question."
D'autres espèces prises au piège
Et il est vrai que Marcel Züger n’y va pas avec le dos de la cuillère, lui qui s’est fait une spécialité de s’afficher désormais du côté des éleveurs. Diplômé de l’ETH de Zurich, ancien défenseur de la réintroduction des loups il y a 25 ans, il s’inquiète de leur formidable capacité d’apprentissage, eux qui parviennent petit à petit à contourner les mesures de protections les plus sophistiquées. Et celles-ci, que ce soit du fait des clôtures ou des chiens de protection, font elles-mêmes des victimes collatérales: biches, lapins, hérissons, chouettes et autres nids d’oiseaux. De surcroît, des espaces autrefois préservés se trouvent soumis aux nuisances humaines via la régulation des meutes. Enfin le tourisme peut en pâtir.
Répercussions jusque dans les vallées
"Moi je mets du bétail dans les Alpes vaudoises", raconte pour sa part Thomas Stettler, "et l’année passée l’alpage voisin a été touché par une attaque. Mon berger m’a alors appelé pour me prévenir qu'il rapatrierait mes 36 bêtes au moindre incident. Comment faire? Je vous parle ici de grand bétail non protégeable. Comment faire pour réorganiser, au milieu de l’été, le reste des activités de mon exploitation jurassienne, et assurer la culture du blé par exemple? Vous comprenez bien que ce loup a des répercussions jusque dans les vallées, et que ce sont des dégâts collatéraux difficilement chiffrables. Si mes bêtes devaient rentrer, je ne toucherais plus la prime d’alpage, je perdrais mes frais de mise à l’alpage, et je devrais encore acheter du fourrage."
"On réclame de la sécurité en montagne"
"Nous, on réclame simplement de la sécurité en montagne, pour préserver cette économie qui profite à nos paysages et à leur biodiversité. Si à l'avenir mes bêtes restent chez moi, je vais cultiver deux hectares de maïs en plus pour les nourrir. Est-ce que la population veut ça? Je ne crois pas. Züger n’a pas dit qu’il fallait éliminer le loup, et pourtant ce serait plus simple. A l’image de ce qui se passe pour le sanglier, il s’agit en fait de maintenir le loup dans des endroits où ses dégâts sont moindres et où ils peuvent être financés, et de le chasser des territoires où se trouvent le bétail de rente et l’homme."
L’OFEV affiche sa satisfaction
Dans un rapport publié ce printemps, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) estime que les tirs de régulation entre 2023 et 2025 ont été efficaces, permettant de stabiliser le nombre de meutes et de stopper la croissance rapide des effectifs. Au terme de la période de régulation 2024-2025, 36 meutes ont été recensées (25 meutes suisses et 11 meutes transfrontalières), dont 12 sont considérées comme discrètes et ne font l’objet d’aucune demande de régulation par les cantons. Il est toutefois relevé combien l’exécution d’une mesure de régulation est une gageure pour les cantons. Le loup reste une espèce protégée en Suisse, si bien que sa régulation vise de préférence les louveteaux, afin que "les adultes et les subadultes de la meute soient plus craintifs vis-à-vis de l’être humain". Seules les meutes ayant développé un comportement indésirable, qui ne doit pas se transmettre de génération en génération, peuvent être prélevées entièrement.
Manque de coordination auprès des cantons
Sur le terrain, en Valais, c’est un retour d’expériences teinté d’amertume que Christine Cavalera a présenté au Club agricole. D’une part, les alpages ne sont pas toujours protégeables pour des raisons topographiques, d’autre part la loi a ses lacunes, et ses conditions ont jusqu’ici évolué constamment, générant de l’insécurité pour les exploitants. "Un alpage avec berger et parc de nuit pour les bêtes est pris en compte pour les indemnisations, mais pas si le loup sévit de jour! Et puis on parle de transfert de compétences vers les cantons, mais il ne s’accompagne pas d’un réel transfert de prises de décisions."
Des projets alternatifs à soutenir
"Ainsi pour la certification des chiens de protection, on n'est pas encore complètement au clair. L'examen ne se passe plus sur l’exploitation, mais par exemple dans le canton de Berne où il faut amener son chien avec cinq moutons. Est-ce vraiment pertinent? Autre point, on aimerait aussi obtenir du soutien quand on cherche, par nous-mêmes, de nouvelles solutions. Il y a ainsi un projet de colliers diffusant des phéromones pour éloigner le loup, un autre pour la pose de colliers GPS sur les chiens de protection pour diminuer les conflits avec le tourisme. Ou encore cette association, OPPAL, qui s’investit dans un projet d’intelligence artificielle pour la reconnaissance des loups de nuit. Pour toutes ces pistes d’avenir, la Confédération doit s'impliquer."
10% de nos alpages seraient déjà abandonnés
"Nous ne sommes en effet pas d’accord avec l’idée que cette révision convient", complète Loïc Bardet, en charge du département Économie, formation et relations internationales à l’Union suisse des paysans (USP). "A nos yeux, il y a des adaptations à apporter au plus vite, en particulier le fait qu’aucune régulation des meutes ne puisse être menée durant la période de végétation, hors zones d’estivage. On a bien vu ce que ça a donné à Valeyres-sous-Rances (VD) ce printemps (notre article). Deux motions sont en cours de traitement aux chambres fédérales pour adapter ça, mais pour une mise en œuvre probablement en 2027. A la veille de l’année internationale du pastoralisme, je suis aussi frappé par le témoignage du président de Schafe Schweiz, le syndicat des éleveurs de moutons et de chiens de protection, qui nous évoque 10% d’alpages abandonnés en Suisse en raison de la présence du loup. Il s’agirait pourtant que l’on mette tout en œuvre pour maintenir cette économie alpestre."
Etienne Arrivé/AGIR

