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Les articles d'AGIR
Mettons-nous dans les bottes de ceux qui réceptionnent notre «végébox»
Pourquoi tout brûler quand on pourrait valoriser? Pourquoi ne pas penser davantage à ceux qui s’investissent pour le mieux? Protéger l’environnement, lutter contre le changement climatique, passe par une réutilisation optimale de ce que nous produisons. Il s’agit en particulier de capter ce fameux méthane (CH4), gaz à effet de serre au moins autant problématique que le CO2, pour le transformer en chauffage à distance et en électricité, pour en extraire de l’engrais agricole aussi. Mais pour que ce cercle vertueux fonctionne, il faut l’alimenter convenablement avec, notamment, des déchets verts les moins pollués possibles.
Tout est parti d’un travail de maîtrise
Pour mieux comprendre, prenons à témoin un acteur régional de ces enjeux, un pionnier neuchâtelois, Simon Eschler, maître agriculteur du Val-de-Travers. Rencontré à l’occasion de la présentation d’une étude cantonale comparant la qualité de la matière première de nos biodéchets (un guide méthodologique est en préparation afin d’aider les communes et les transporteurs), notre homme se présente comme "passionné par les questions d’énergie et d’environnement". "J’ai 45 ans, et une petite exploitation, en location, de 32 hectares, sur laquelle je cultive du blé, du colza, du maïs, et j’élève 7 vaches allaitantes. Mais ma principale activité, après y avoir consacré mon travail de maîtrise en 2007, c’est devenu à 95% la méthanisation et le compostage, avec cette entreprise Agri Bio Val constituée en décembre 2010 à Fleurier."
Un réseau pour éviter la concurrence permanente
Et cette entreprise compte aujourd’hui une dizaine de collaborateurs, environ six équivalents plein temps. Simon Eschler préside aussi l’association Réseau biodéchets neuchâtelois (RBN), cofondée en 2011 avec Gérard Veuve, lui-même à la tête, avec son fils Karim, d’Agreenergie, à Cernier (NE), société qui transforme en électricité le méthane qu’elle produit. Leur réseau cantonal réunit méthaniseurs et composteurs. "Il permet d’éviter de se faire concurrence", poursuit Simon Eschler, "et de plutôt chercher le consensus. On est ainsi devenu l’interlocuteur des communes et des entreprises pour traiter leurs déchets verts. Avant cela, certains agriculteurs pratiquaient déjà le compostage en bord de champs, mais on ressentait le besoin de fédérer tous ces acteurs, pour communiquer et chercher des synergies, pour l’utilisation des machines, des camions, aller à la rencontre des autorités cantonales aussi, et faire preuve de bon sens."
Cet engrais se doit d’être optimal
Les exploitants agricoles se trouvent donc à l’origine du projet comme en bout de chaîne: ils sont aussi les utilisateurs du produit final, ce digestat, engrais riche en nutriments et matières organiques qui repart par camion pour être épandu sur leurs parcelles. "Pour Agri Bio Val, ce sont 11 agriculteurs qui se sont associés, et ont investi au total 800'000 francs, en fonction de leurs moyens, de leurs convictions. Certains avaient besoin de volume de stockage pour leurs déchets organiques, d’autres avaient de quoi vendre leur engrais de compostage, d’autres encore produisaient principalement du fumier, et étaient intéressés à obtenir un substrat quasi inodore, pour des questions de voisinage. Ainsi 80 à 85% des volumes que l’on traite proviennent des 11 agriculteurs associés, situés dans un périmètre de moins de 2km autour de notre site de Fleurier. Les 15% restants, ce sont donc les déchets des cuisines professionnelles, les déchets agroalimentaires (poussières de moulin de St-Aubin et de tabac de Philip Morris), et les déchets verts des 10'800 habitants du Val-de-Travers."
Eviter tous les indésirables
Mais la collecte de ces déchets verts se doit d’être plus sélective, il faut absolument éviter les indésirables: plastiques, textiles, bois traités, déchets métalliques, piles, mégots, mais aussi (on le sait moins) poisson, viande et os, cendres, litières minérales et excréments… la liste est établie de longue date (lire notre reportage vaudois auprès de La Coulette), mais l’information auprès des citoyens est encore trop lacunaire, en particulier en milieu urbain. "Dans ma commune, je me suis beaucoup investi pour l’organisation de la collecte", raconte encore Simon Eschler, "si bien que l’on y pratique le ramassage en porte-à-porte et la taxe au poids, un système qui responsabilise chaque foyer au maximum." Autre critère central: son entreprise Agri Bio Val est aussi «exutoire», c’est-à-dire qu’elle assure à la fois la collecte et l’exploitation de la matière. Elle a donc un intérêt direct à la qualité, et les résultats sont là, tels que recensés en 2023-2024 par l’étude présentée cette semaine: la matière première des déchets verts en provenance de ses ménages y est au top, contrairement à ce que l’on constate trop souvent dans les villes.
Un modèle social très intéressant
"Quinze ans après, dans le Val-de-Travers on est restés soudés", se félicite l’homme de Fleurier. "L’agriculteur, qui était uniquement remettant à la base, se trouve impliqué dans le résultat de l’entreprise. Il doit se confronter aux défis qu’elle rencontre, si bien que, pour moi, c’est un modèle social très intéressant. Qui a aussi besoin de meneurs dans chaque région, avec de l’entregent, pour faire en sorte que la machine roule." A ce titre, il ne préside pas les séances du RBN dans l’idée de défendre les intérêts du Val-de-Travers, mais plutôt par conviction, pour la mise en œuvre de nouvelles normes législatives par exemple. "Je me demande parfois pourquoi j’y consacre autant d’énergie mais, au final, comme pour tous les passionnés dans n’importe quelle profession, on cherche là à générer un revenu en faisant quelque chose qui nous plait, qui nous donne envie de nous lever le matin, notamment parce que ce travail contribue à améliorer le fonctionnement de la société." Qui ne s’y reconnaîtrait pas?
Etienne Arrivé/AGIR
Plus d’information sur ce tri des déchets compostables: www.reseau-biodechets-ne.ch

