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Les articles d'AGIR
Notre vignoble est «héroïque», congrès mondial à l’appui
"L’intitulé de ce congrès, ce sera «Les vignobles héroïques au service de la viticulture mondiale», et ce n’est pas pour rien: c’est nous qui sommes à l’origine du vignoble, sur ces zones extrêmes, en terrasses et en banquettes, avec des terrains inclinés à 30% ou davantage. Ce n’est pas sur les grandes plaines australiennes que la viticulture a été d’abord plantée, mais bien sur des terrains où la viticulture a pu avoir, au fil de l’Histoire, un rôle écosystémique. Elle a accessoirement permis aux hommes de circuler, et aujourd’hui de se promener, à travers des paysages a priori très compliqués d’accès, mais ensoleillés."
De l’enthousiasme vu comme opportunité
Cette histoire, il s’agirait, enfin, de mieux la raconter en Suisse. Olivier Viret, le monsieur «santé des cépages» du canton de Vaud (à la tête du Centre de compétence vaudois vitiviniculture, cultures spéciales et protection des plantes) en est le premier convaincu: "Je suis en fin de carrière et ce congrès mondial de Montreux, du 6 au 8 mai, c’est l’un des derniers grands élans que j’aimerais donner. S’appuyer sur l’enthousiasme et la fierté qu’on ressent au sein de ce CERVIM (Centre de recherches et d’étude, de protection, de représentation et de valorisation de la viticulture de montagne), ce sera une vraie opportunité pour notre pays."
Urgence à redynamiser la filière
Car voilà, vous connaissez l’adage: les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés, et nos professionnels du vin, quasiment tous concernés par les défis d’entretien et d’exploitation de parcelles en pente, n’en ont pas fait jusqu’ici un argument de vente. Or, vous l’avez forcément lu ou entendu, il y a urgence à redynamiser la filière, confrontée aux redoutables ciseaux de la concurrence étrangère et de la baisse constante de la consommation mondiale, au plus bas depuis 1961 pour le vin dit tranquille (ni effervescent ni mousseux).
L’exceptionnel a un prix
Ainsi entraînée par le fond, c’est une dôle AOC Valais à CHF 2.99 la bouteille chez Aldi qui fait les gros titres, mais on en oublie que nos voisins européens savent tout aussi bien vendre, plutôt cher, leurs crus d’exception. "Si vous allez en Italie, par exemple dans la Vallée d’Aoste, vous n’avez pas de bouteille en dessous de 22 euros et tout le monde le comprend très bien!" s’emporte Olivier Viret. "Et ce sont même les touristes étrangers qui nous le disent: quand ils viennent skier en Valais et dégustent une petite arvine, ils sont séduits et lui donnent ses lettres de noblesse. Mais ce cépage ne représente que 350 hectares, et il faut maintenant que le chasselas gagne un meilleur prix, en premier lieu auprès des Suisses."
Victime d’autres problèmes de société
Notre pays si riche serait donc si pingre quand il s’agit de revendiquer son excellence? Notre viticulture se retrouve en tout cas, comme le relevait récemment Pierre-Yves Felley, directeur de la chambre valaisanne d’agriculture, en "victime collatérale d’autres problèmes de société, comme l’augmentation des loyers et de l’assurance maladie" [Vignes et vergers, novembre-décembre 2025]. L’inflation depuis le début de la guerre en Ukraine grève le pouvoir d’achat, et augmente les coûts de production, déjà les plus élevés au monde dans nos vignobles (jusqu’à CHF 66'000/ha dans le Lavaux d’après les derniers chiffres 2023).
Une erreur stratégique à réparer
"Pour nous cela se répercute avec des bouteilles entre 15 et 25 francs, mais en réalité cela nous situe dans la ligne des autres vignobles héroïques soutenus par le CERVIM", souligne Olivier Viret. "Le problème, c’est qu’on a appris au consommateur que notre chasselas était un petit vin, et donc qu’il ne doit pas être cher… on a fait une erreur stratégique de base! En réalité, ce cépage a un potentiel de garde extraordinaire, et, à l’aveugle, certains le prennent pour le prestigieux viognier. Mais on n’a simplement rien fait pour le valoriser auprès du public. Ce sera donc un travail de titan pour renverser cet a priori, et nos grands crus doivent nous tirer en avant pour sortir de l’ornière."
Exporter dans des commerces ciblés
Tout aussi important serait de développer la présence des vins suisses à l’étranger. A commencer par le potentiel de vente immédiat auprès de ces touristes déjà cités, qui ne nous retrouvent actuellement pas dans leurs rayons. "L’expérience prouve que ça fonctionne. Prenez le domaine Louis-Philippe Bovard à Cully (VD)", illustre Olivier Viret, "il fait l’effort d’être présent à New-York dans des bars très branchés, et dans son cas le prix ne compte pas."
Une palette haut de gamme
Membre du comité technique-scientifique du CERVIM depuis 2008 et dégustateur lors du 33e Mondial des vins extrêmes (le seul concours œnologique dédié -vous l’avez deviné- aux vins de viticulture héroïque, organisé annuellement à Aoste dans le mythique fort de Bard), Olivier Viret a pu en apprécier toute la palette, du très en vogue Valdobbiadene Prosecco Superiore aux vins doux de Banyuls, des terrasses du Douro à la Savoie, en passant par l’Arménie, la Géorgie, le Brésil, les îles Canaries ou celle de Pantelleria, entre Sicile et Tunisie, où l’actrice française Carole Bouquet produit, depuis plus de vingt ans, un muscat très haut de gamme. De multiples vins d’exception, authentiques, uniques, parmi lesquels les Suisses tirent déjà leur épingle du jeu: "la Cave Monti du Tessin, les Valaisans avec 11 médailles d’or dont 1 grand or, mais aussi désormais les Vaudois qui ont obtenu 12 médailles d’or dont 2 grand or".
Jovialité, marketing et fierté
"Toutefois", précise-t-il aussitôt, "si les Italiens ont autant de succès, y compris en Suisse alémanique, ce n’est pas pour rien. Ils affichent une jovialité et une expertise du marketing, une générosité mais aussi une fierté de leurs produits tout à fait exceptionnels. Pour la remise des prix, c’est le ministre de l’agriculture, Francesco Lollobrigida, qui s’est déplacé, et son discours témoignait d’un enthousiasme sans faille, y compris en termes d’investissements consentis pour défendre la qualité de ce patrimoine viticole."
Ils façonnent l’image de la Suisse
A écouter Olivier Viret, pour ne pas partir à vau-l’eau, notre vin devrait donc être majoritairement considéré comme bien culturel, pour son excellence et parce qu’il façonne nos paysages de cartes postales. Certes nous n’avons pas de Fashion Week helvète, ces vitrines des géants du luxe, mais nos producteurs-encaveurs prouvent, à chaque concours international, leurs très grands savoir-faire. Alors en supplément du tapis rouge de gala du Grand Prix du vin suisse, il serait temps que ce congrès 2026, à Montreux, les place dans la lumière des consommateurs et des décideurs.
Etienne Arrivé/AGIR
Programme complet et inscriptions: congrès international CERVIM 2026

