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Les articles d'AGIR
"On ira planter un olivier à La Brévine!"
L’olivier comme avenir de la viticulture suisse, c’est largement exagéré?
Frank Siffert: On n’en est pas là, mais c'est en tout cas une culture très intéressante pour une diversification. Elle s'intègre tout à fait bien dans la vigne, laisse une lumière qui filtre au travers des feuilles, un léger ombrage mais sans que cela ne favorise le mildiou par exemple. C’est juste ce qu'il faut, en amenant un peu de fraîcheur. Les oliviers aiment les sols pauvres, ils sont super intéressants aussi pour faire de l'agroforesterie. Et puis ça fait vraiment un bon complément de revenu, une diversification bienvenue actuellement dans le paysage agri-viticole.
À l'occasion de la constitution de votre association, plusieurs voix se sont élevées appelant à ne surtout pas se diviser.
C’est vrai que, dans la viticulture, on a du mal à se coordonner. Alors qu’il y a des difficultés d'écoulement, que les gens boivent moins de vin et partent plutôt vers des spritz, c’est un gros souci... Pour nous, il s’agira donc de faire preuve d’unité, que ce soit dans la recherche ou dans la production. On va peut-être se regrouper sous l’appellation Oleum Helveticum, pour avoir une base de départ. Et puis chacun y mettra ensuite ses particularités, ses variétés différentes etc. On souhaite en tout cas une avancée commune, pour la commercialisation comme pour obtenir du soutien des pouvoirs publics.
On est ici, à Luins, dans un paysage qui n'évoque pas du tout l'olivier. Et pourtant vous nous parlez de très gros volumes de plantations dès cette année…
Cet hiver, il va se planter plus de 13’000 oliviers en Suisse romande! Sachant qu’il y en a déjà environ 10'000, on peut dire que ça démarre très fort! L’association regroupe déjà plus de 40 viticulteurs, et d’autres agricultrices et agriculteurs qui se lancent dans l'aventure. On vise la top qualité, et l’intérêt des consommateurs pour un produit local. On part aussi sur pas mal de variétés, il y aura de quoi satisfaire tous les palais. Enfin, un peu comme dans le monde du vin, on veut organiser des dégustations, des buffets, etc. Car il y a plein de choses super intéressantes à découvrir autour de l’olive.
Pour ce qui est des variétés justement, vous allez mener un recensement directement auprès du public.
Oui, auprès de tous ceux qui ont quelques oliviers en pleine terre chez eux, des oliviers dont ils connaissent, ou non, la variété, mais qui ont pour point commun d’avoir résisté au rude hiver de 2012 et de leur donner des olives. Pour ce faire, les privés auront accès à une fiche, très claire à remplir, disponible cet automne dans le journal Agri et sur d’autres supports, qu’ils pourront nous retourner accompagnée d’un rameau. Celui-ci fera alors l’objet d’une analyse ADN gratuite, que nous organisons avec le FiBL Suisse (Institut de recherche de l'agriculture biologique) auprès de l’INRAE en France (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement). S'il y a beaucoup de demandes, on va se limiter à 120 échantillons pour cette année, les premiers inscrits passeront d'abord, puis on gardera les autres pour l'année prochaine, puis encore l'automne d'après. On ambitionne de faire ainsi le tour complet des oliviers de Suisse, pour une cartographie des espèces qui se sont bien acclimatées chez nous.
Ce recensement bénéficie du soutien financier du canton de Vaud.
Oui, on a un petit soutien sur trois ans, pour de la recherche, de la part du service de l'agriculture du canton de Vaud. Et notre comité va aller en chercher d’autres, auprès des cantons et de la Confédération, afin de développer de la meilleure manière possible cette nouvelle production suisse. Cela dit, on ne fait que recommencer une ancienne culture: en Valais, vers l’an 1200, il y avait plein d’oliviers! De nombreuses gelées, vers l’an 1400, ont ensuite décimé tout ça, sauf au Tessin, qui n’est pas si loin de la Méditerranée. Au sud des Alpes, Il y a d’ailleurs d’immenses productions d’olives, avec l’avantage du froid en hiver, qui peut protéger de nombreuses maladies.
Produire de l’olive, c’est tout un écosystème pour lequel la Suisse n’est pas forcément équipée.
On a quelques pressoirs, comme celui de la famille Sordet, acheté en France à Nyons, la capitale de l’olive AOP du même nom dans la Drôme provençale. Un autre pressoir va être acheté tout soudain en Chablais, d'autres membres vont s'équiper, sachant que certains outils du vigneron peuvent être transférés vers l'olive. Ensuite, grâce à cette association, on va se liguer pour des achats, pour pouvoir disposer d’outils de qualité qui nous permettront d'avancer tous ensemble en nous appuyant sur les meilleures techniques. En Suisse, on est plus habitués aux pressoirs communaux pour les fruits, comme on avait, dans le temps, le four à pain communal, eh bien ici c'est un petit peu l'idée. Certainement qu'avec le développement de cette culture, ça va donner plein de petits pressoirs partout, il faudra certainement coordonner tout ça, pour arriver à quelque chose de rentable pour tous.
Vous avez évoqué l’idée d’une plantation symbolique dans la Sibérie de la Suisse…
Certainement qu'on va faire aussi ce genre d’essais, avec certaines variétés comme la «moufla» qui résiste à -36°C. Pourquoi donc ne pas essayer de la planter à La Brévine, histoire de voir sa réaction en «haute altitude»? Il faut dire que, de toute façon, d'ici dix ans, on estime à peu près pouvoir couvrir un millième seulement de la consommation suisse. Donc on ne va pas être saturés de sitôt!
Ce n’est d’ailleurs pas votre génération qui pourra pleinement tirer profit de ces plantations.
Ah non, car un olivier en pleine production, ce n'est qu’à partir de 80 ans! A partir de 10 ans, vous aurez quelques kilos d’olives, à 20 ans peut-être 20 kilos, mais un olivier de 30 ans, c'est déjà pas loin de 100 kilos, et à partir de 50 ans, vous êtes à 200 kilos par arbre. Donc on a vraiment une évolution constante, ce qui veut dire que l’on n’aura pas besoin d'en planter des milliers de plus, mais qu’on devra bien s'en occuper car un arbre peut donner vraiment beaucoup d'olives à lui tout seul. Et ce seront surtout les enfants de nos enfants, et les 50 ou 100 générations futures, qui en profiteront, puisque c’est un arbre qui peut donner des olives pendant plus de mille ans.
Et puis si le producteur veut passer à autre chose, actuellement il revend ses arbres plus chers qu’il ne les a achetés…
Voilà, s’il en a assez des oliviers, il pourra toujours arracher ses arbres délicatement, les mettre en pot, et les vendre pour les privés qui seront tout contents de pouvoir planter, dans leur jardin, un olivier qui a déjà été totalement adapté à nos régions.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR

