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Les articles d'AGIR
Oui au solaire, mais certainement pas sur nos champs
Depuis le 1er janvier 2025, avec ces nouvelles dispositions de la «Loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables» qui entrent en vigueur progressivement, les zones grises du texte, sujettes à interprétation, ont tendance à être vertes comme nos pâturages. L’explication en est simple: le dynamisme démographique d’un pays largement montagneux, qui ne subvient déjà que pour moitié à ses besoins alimentaires, se traduit forcément par une pression sur ses terres les plus fertiles. Or les installations solaires ont besoin de place.
Encore peu d’avancées en haute montagne
Quelques gros projets sont, certes, en cours d’élaboration dans la catégorie dite «Solarexpress». La loi fédérale du même nom soutient financièrement les parcs solaires alpins comme solution contre le manque d'électricité en hiver. Mais peu ont encore vraiment décollé. Dans les Grisons, la centrale solaire de Madrisa Solar, implantée sur la commune de Klosters, à 2000m d’altitude, vient d’être raccordée au réseau, pour une mise en service complète fin 2027. Dans le canton de Berne, l'alpage de Morgeten a reçu un permis de construire, toujours contesté devant le tribunal administratif. Et dans le Jura bernois, à 1200m d’altitude au-dessus de St-Imier, sur la montagne au nom prédestiné de Mont-Soleil, la population a validé, en juin 2024, l’agrandissement de ce qui était, à son inauguration en 1992, le plus grand parc photovoltaïque d’Europe (par ailleurs Mont-Soleil abrite aussi le plus grand parc éolien de Suisse).
Quelle influence sur le bétail?
Il est à noter que ce lieu garde une vocation expérimentale, et que, pour l’heure, un seul prototype de ses futures «tables solaires», de 15 mètres de long et suspendues à 7 mètres de hauteur, fait l’objet d’une étude de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) de Zollikofen (BE). Vingt colliers GPS doivent ici révéler si les vaches du secteur apprécient de se réfugier sous les panneaux ou non. Quoi qu’il en soit, le déploiement et le raccordement au réseau de ces nouvelles installations coûte évidemment bien plus cher en zones escarpées de montagne qu’ailleurs.
Privilégier le bâti existant
Les organisations de protection de l’environnement poussent, elles, en faveur d’installations au sol sur le bâti existant, ou regroupées le long des routes, voire des pistes de ski. L'Office fédéral des routes (OFROU) a d’ailleurs présenté sa stratégie en ce sens, cet été à Yverdon-les-Bains, sur le chantier emblématique du plus long viaduc autoroutier de Suisse, bientôt équipé de 2400 panneaux solaires. Mais la gourmandise des entreprises du secteur les pousse encore à aller voir ailleurs ou moins haut, sur nos prés.
«Terrains libres» objets de convoitises
Des cas de figure limite doivent être tranchés, et le lobbyisme des acteurs de l’électricité s’y mesure parfois de façon très concrète. On pourrait prendre l’exemple des terrains situés à proximité des aéroports. A Bern-Belp, le projet Belpmoos Solar, qui sera justement la plus vaste installation solaire au sol de Suisse, devrait voir le jour sur le côté sud-ouest de la piste, sur une surface finalement réduite de 25 à 16,5 hectares. Elle devrait produire de l'électricité pour 8'000 foyers (jusqu’à 28 GWh par an), et coûter environ 30 millions de francs. L'aéroport accepte de mettre ce «terrain libre» à disposition pendant environ 25 ans. Il s’agit en l’occurrence d’une zone de prairie sèche, dont 21,8 hectares seront, à cette occasion, inscrits comme «d'importance nationale».
Levée de boucliers à La Chaux-de-Fonds
On n’en est pas là à La Chaux-de-Fonds, mais l’entreprise Viteos a étudié la faisabilité d’un parc solaire sur une parcelle de 3,2 hectares au nord de l’aéroport des Éplatures. Il s’agit de terres en zone à bâtir exploitées pour l’agriculture, et propriété de la Commune. Les modules, hauts de 3 mètres et plantés à 80 cm au-dessus du sol, y seraient intégralement démontables après environ 30 ans d’exploitation. Au sein du législatif, le président de la Société d’agriculture de La Chaux-de-Fonds Christophe Ummel a d’ores et déjà fustigé le projet. Au nom de ses confrères paysans, il relève que "la progression de l’autonomie énergétique au détriment de l’autonomie alimentaire n’a aucun sens" [journal Agri du 21.11.2025]. Il craint également que "par soucis de simplification, des propriétaires terriens non agriculteurs voient davantage d’attrait et de confort dans l’installation de panneaux solaires sur leurs terres plutôt que de bétail".
L’USP opposée à la perte de terres agricoles
Le directeur de la Chambre d’agriculture et de viticulture neuchâteloise (CNAV), Yann Huguelit, n’a pas directement pris position mais, suivant la ligne de l’Union suisse des paysans (USP), il s’opposera à tout type de réalisation annihilant l’exploitation de terrains agricoles. C’est d’ailleurs au siège de l’USP à Berne que l’on termine notre tour d’horizon. Marion Zufferey, collaboratrice spécialisée aménagement du territoire, y pointe les velléités du lobby électrique d’assouplir la notion d’agri-photovoltaïsme. "Celle-ci suppose que les panneaux apportent un avantage pour la production agricole, que ce soit une augmentation du rendement, une réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires, un échelonnement des récoltes ou autre. On a pu démontrer que c’était bien le cas pour les cultures spéciales, comme les baies ou les pommiers. Et à cette seule condition, le versement de contributions financières à l’exploitant agricole, au titre des paiements directs, est maintenu. Dans tous les autres cas, ces paiements directs sont supprimés. Mais face au changement climatique, certains groupes d’intérêt voudraient faire admettre que les panneaux apportent une protection aux terrains quelle qu’ils soient. Et ensuite l’agriculteur deviendrait paysagiste, il entretiendrait le tour des panneaux aux moments qui conviennent à leur bon fonctionnement ou à leur maintenance. Ça n’est pas acceptable."
Ne pas pénaliser les pionniers
Pour l’USP, l’enjeu est bien plutôt de rétribuer les familles paysannes ayant consenti à de lourds investissements pour la pose de panneaux sur les toits de leurs bâtiments. De nombreuses exploitations disposent désormais d’installations qui dépassent largement leur consommation propre. Mais après quelques années fastes, entre 2021 et 2023, qui ont suscité un effet d’opportunité, les rétributions pour l’injection d’électricité sont désormais nettement plus basses. "Il n’est pas acceptable que ces pionniers, qui ont voulu contribuer à la transition énergétique, se retrouvent ainsi pénalisés", poursuit Marion Zufferey. "Il s’agit de leur trouver des solutions d’amortissement, soit en augmentant leurs consommation propre par des besoins supplémentaires en électricité (par exemple en remplaçant un chauffe-eau classique par un chauffe-eau via pompe à chaleur), soit par le stockage de leur électricité sur batteries, soit par de nouvelles possibilités de commercialisation, via ces «communautés électriques locales» ou CEL, prévues dès 2026 par la nouvelle loi fédérale, afin de revendre son électricité à son voisinage."
… et surtout accélérer
Sachant que d’après le 7e et tout récent rapport de monitoring publié par l'Office fédéral de l'énergie (OFEN), pour atteindre ses objectifs fixés en 2035 et 2050, la Suisse devra développer deux fois plus vite qu’actuellement sa part de production d’énergies renouvelables.
Etienne Arrivé/AGIR

