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Les articles d'AGIR
Quand le numérique simplifie nos vies, l’agriculture y a droit aussi
Et si l’on optait pour des contributions publiques à l’agriculture déclenchées par des indicateurs numériques? Dans l’optique de la future politique agricole de la Confédération, dite PA2030+, une dizaine d’exploitants innovants et motivés, représentant les divers secteurs de production suisses, planchent depuis un an sur un nouveau système de versement de ces soutiens financiers. Cela passerait alors par des «indices», eux-mêmes basés sur le traitement informatique de données déjà disponibles. On pourrait ainsi, à la fois, mettre en évidence et indemniser les efforts consentis par la profession pour diminuer ses impacts sur l’environnement (dans l’eau, le sol, l’air), et donner à l’exploitant une meilleure marge de manœuvre pour agir efficacement sur son domaine, au profit de la biodiversité par exemple.
Des données insuffisamment valorisées
Pour ce groupe de travail, il s’agit donc d’imaginer, de développer, de proposer et de tester ces indices, à partir de nouveaux indicateurs. "Certes il existe déjà un tas d’outils, en développement continu depuis vingt ans, pour apprécier les données de son exploitation", explique Flavien Bach, même pas 27 ans, chef du projet chez Prométerre (l'association vaudoise de promotion des métiers de la terre) et associé dans une communauté d’exploitation familiale à Carrouge (VD). "Mais il n’empêche qu’une très grande partie des données disponibles ne sont pas encore suffisamment mises en valeur. Comme le développement d’outils numériques est très coûteux, il faut que les agriculteurs et les pouvoirs publics y voient un intérêt. Ici, on souhaite déjà s’inscrire dans la réduction des données à saisir pour percevoir les paiements directs, c’est un levier fort pour susciter l’adhésion."
L’un des quatre objectifs de la PA2030+
Rappelons aussitôt deux paramètres: d’une part c’est par la vente de leur production sur les marchés que les paysannes et paysans suisses génèrent l’essentiel de leur chiffre d’affaires (à 80% dans le canton de Vaud), d’autre part la simplification de la charge administrative fait justement partie des quatre objectifs de la future politique agricole. Les trois autres consistent à assurer la sécurité alimentaire du pays grâce à une production indigène diversifiée, à réduire l'empreinte écologique de la chaîne alimentaire, et à améliorer les perspectives économiques et sociales pour les agriculteurs et le secteur agroalimentaire. "Notre ambition, ici, c’est de ne pas attendre que la législation puis l’administration fabrique la mise en œuvre de notre politique agricole", poursuit Flavien Bach. "Ça a été le cas pendant longtemps, mais la profession doit aussi avoir son mot à dire et être force de proposition pour que ça lui rende service. Aujourd’hui, l’agriculteur remplit déjà des formulaires pour déterminer s’il a droit aux paiements directs via les exigences des prestations écologiques requises (PER), il recommence ensuite en fonction des labels auxquels il veut s’affilier, ou simplement des conventions de branches. Ces cahiers des charges se chevauchent en partie, et il faut pourtant les documenter puis les contrôler. Si on pouvait ne faire tout ça qu’une seule fois, ce serait un gain de temps considérable pour tout le monde."
Simplifier sans toucher aux équilibres
Membre de la direction de Prométerre, chef du département Services et conseils, et ingénieur agronome comme son cadet, Stéphane Teuscher insiste sur le fait que ce projet ne vise à simplifier la gestion des paiements directs QUE pour les 11% de versements les plus fastidieux. "Les autres quasi 90% ne bougent pas, donc la stabilité du système actuel est assurée. On se limite à vouloir mettre sur le dessus de la pile les indicateurs qui s’avèreront les plus prometteurs. On se doit de démontrer qu’ils simplifieront vraiment la vie des agriculteurs, sans révolutionner pour autant l’équilibre des finances entre Suisse romande et Suisse alémanique, ou entre plaine et montagne. Si on arrive à rassurer et à montrer que c’est possible, alors nous pourrons compter sur l’aval de la profession, puis sur celui des politiques, car cela va dans le sens de l’objectif de simplification administrative affiché."
Satellite, algorithme et efficacité
Entrons dans le vif du sujet, avec quelques exemples. "Les images satellitaires sont des données publiques issues du programme spatial européen", développe Flavien Bach. "On travaille sur celles générées à partir de 2020, et avec la société lausannoise Terranum Sàrl, qui utilise différentes bandes spectrales pour calculer la couverture des sols d’une exploitation. On voit ça comme un nouvel outil pour la gestion des pratiques, et puis on anticipe que des contributions pourront être versées en fonction de ce degré de couverture des sols. Dans ce cas l’exploitant n’aurait plus besoin de saisir chaque intervention datée sur les systèmes de recensement cantonaux."
Vérifications tout en nuances
Le satellite observe, puis l’algorithme calcule, au fil du temps, les zones effectivement en végétation (Photosynthetic Vegetation ou PV), en végétation morte (Non-Photosynthetic Vegetation ou NPV) et en sol nu (Bare Soils ou BS). "En ce moment on vérifie la fiabilité de ces résultats", poursuit Flavien Bach. "On le fait directement sur les parcelles des membres du groupe de travail. Est-ce que l’indice calculé correspond bien à la réalité de leurs pratiques, avec toutes les nuances qui existent? Un champ couvert ou nu toute l’année, un champ labouré ou non, un autre en «semi direct» ou en «semi en bande» etc. Pour ce qui est de nos efforts pour la biodiversité et la qualité des paysages, on pourrait y adjoindre, là encore, des éléments cartographiques, du moment qu’on travaille avec du géo-référencement. Alors c’est un prototype, et il y aura peut-être des défauts à corriger, mais la technologie existe, les premiers résultats sont positifs, donc pour le déploiement ça pourrait aller assez vite, en mettant les ordinateurs et les informaticiens derrière. Et puis en développant l’outil ou l’appli la plus pratique pour tous. La partie informatique pourra être déléguée, mais il s’agit d’aboutir la partie scientifique et pratique."
D’autres avancées via digiFLUX
Voilà pour l’exploitation des images satellitaires, mais il y a aussi l’utilisation des données de la plateforme digiFLUX, qui doit entrer en fonction nationalement en 2027. Cet outil, voté par le parlement fédéral dans le cadre de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires en 2022, doit permettre la saisie des déclarations obligatoires pour les engrais, les produits phytosanitaires et l’alimentation des animaux. "Notre réflexion a été de voir comment utiliser ces nouvelles données, en évitant aux exploitants d’en passer par d’autres procédures", renchérit Stéphane Teuscher. "Initialement la Confédération voulait avoir de la traçabilité jusqu’à la parcelle, mais ça a été refusé car c’est quasiment impossible à mettre en œuvre dans certains secteurs. Actuellement, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) se limite donc à l’exploitation, et pour nous ce serait une réelle simplification administrative. Un mécanisme pourrait permettre de déclarer ce qui n’a pas été utilisé, l’inventaire des stocks à la fin de l’année, et le décompte calculerait le reste sans que l’agriculteur ait besoin de recenser chaque fois ses quantités consommées. Enfin, il y aura moyen de déterminer l’efficience des aliments concentrés, en mettant en relation les quantités de lait ou de viandes produites avec les données de la BDTA (banque de donnée sur le trafic des animaux) et de la Bdlait (quantité de lait produite déclarée par les acheteurs de lait)."
Une mise en œuvre nationale au cas par cas
L’initiative vaudoise, suivie de près par l’OFAG, espère être rapidement testée dans le cadre d’un «projet Ressources» (classés 77a pour les initiés), avec un financement à la clé et la perspective de s’étendre à deux cents exploitations ailleurs en Suisse, notamment côté alémanique. "On veut pouvoir affiner nos méthodes de calcul au maximum, et l’OFAG est convaincu par le potentiel de ce monitoring", conclut Stéphane Teuscher. "Mais on n’est pas obligés d’arriver en 2028 avec un paquet ficelé. On vise une mise en œuvre de certaines mesures de paiements directs à partir de 2030, à partir du moment où un indicateur aura démontré être meilleur que ce qui existe actuellement. A ce titre, l’indice de couverture des sols est déjà prometteur, et les autres pourraient suivre progressivement."
Etienne Arrivé/AGIR

