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Les articles d'AGIR
"Un incendie dans une étable, c’est toujours une catastrophe phénoménale"
C’est novembre, les premières neiges sont là, mais, dans l’agriculture, l’automne et l’hiver ne sont pas nécessairement synonymes de diminution des risques d’incendie.
Stéphane Seuret: Non, pas forcément, même si l’on peut tout de suite relever que la moitié des incendies sur exploitation sont dus à la foudre, et que les orages surviennent très majoritairement lorsque les températures sont élevées. L’été il y a aussi des machines qui peuvent prendre feu sur les champs. Mais au-delà, la présence de nombreux matériaux inflammables, en particulier du foin pas assez sec et en fermentation, du bois, du carburant, les spécificités architecturales et la concentration de machines font des fermes des cibles particulièrement vulnérables aux incendies. Même en hiver, si vous y rentrez des véhicules aux moteurs encore chauds, c’est un danger. Idem si des cailloux partent dans une machine de broyage. Et il ne faut pas sous-estimer les engrais, ou encore les petits appareils électriques fonctionnant avec des batteries rechargeables, des accus, qui sont particulièrement sensibles aux chocs et peuvent aussi s’enflammer. C’est un peu le même risque que pour les smartphones, et on voit que les déchetteries ont d’immenses soucis avec ça.
Pourquoi ce programme de prévention et ce partenariat maintenant?
Cela fait 20 ans que l’on fait de la prévention incendie, et de la formation via les cours «agriTOP». C’est une obligation légale depuis l’an 2000: dès qu’un employé est salarié, cette formation de deux jours permet de désigner une personne de référence pour la sécurité de chaque ferme, qui agit ensuite comme relais entre les collaborateurs, l’exploitant et les organismes spécialisés. Cette année, l’idée de ce partenariat avec le Centre d'information pour la prévention des incendies (CIPI) était d’actualiser notre documentation, qui avait elle aussi plus de 20 ans.
Ce projet commun doit se dérouler de septembre 2025 à septembre 2027, on parle d’une coopération de long terme, pourquoi sur deux années?
Parce qu’il faut le temps nécessaire à ce que le CIPI et le SPAA élaborent ces nouvelles fiches d’information, des articles spécialisés et des dépliants consacrés à cette thématique. Au cours des deux prochaines années, ces informations seront mises gratuitement à disposition des exploitations agricoles. Ce contenu sera également publié dans le matériel pédagogique des formations agricoles, dans le cadre de salons et manifestations du secteur agricole ainsi que sur divers portails en ligne.
Enormément de thèmes vont être abordés, et vous commencez par ces trois axes: les véhicules dans des locaux exposés au danger d’incendie, la prévention des incendies dans les poulaillers, et la prévention des incendies dans les porcheries. Pourquoi ceux-là?
Cela répond à un manque. Nous traitions souvent de l’agriculture de façon générale, mais nous n’avions pas de documentations spécifiques pour les poulaillers et porcheries notamment. Ces trois brochures sont maintenant en ligne, et, tout comme les suivantes, elles sont rédigées par deux chargés de sécurité AEAI (certifiés par l’Association des établissements cantonaux d'assurance incendie), l’un étant romand et l’autre alémanique.
Puisque vous les abordez d’emblée, arrêtons-nous sur la perception de ces pertes animales par le grand public. Les exploitants agricoles, pourtant victimes de ces sinistres, sont de plus en plus souvent pointés du doigt quand leurs cheptels ne peuvent être sauvés…
Les directives anti-incendie ont avant tout été conçues pour éviter les pertes humaines, avec des zones de rassemblement en cas d’évacuation, des sorties de secours obligatoires. Il faudrait avoir la même chose pour les animaux, mais ce n’est pas encore le cas. Et, dans un premier temps, notre objectif est donc surtout d’éviter l’incendie. Il faut dire que c’est toujours difficile d’évacuer du bétail, qui panique autant que l’homme, et c’est encore pire pour les chevaux: quand ils sont stressés, ils cherchent à rester là où ils étaient en sécurité, quitte à vouloir retourner dans un bâtiment en flammes. L’exploitant doit avoir réfléchi à tout ça, ne serait-ce que, très basiquement, parce que les animaux font partie de son outil de travail. Un incendie dans une étable, c’est toujours une catastrophe phénoménale.
Et c’est donc à l’éleveur, au-delà de la législation en vigueur, de prendre les mesures nécessaires…
Oui, c’est malheureusement de sa responsabilité, et la prévention, ça a toujours un coût. Il y a des avancées techniques, mais qui peuvent représenter des investissements rédhibitoires pour l’exploitant. Comme les sondes à fourrage, qui permettent de détecter les risques en cas de taux d’humidité combiné à une température trop élevée dans les balles de foin. Parfois il peut y avoir une aide, comme, dans le canton de Fribourg, quand l’ECAB (l’Etablissement cantonal d'assurance des bâtiments) avait largement participé au remplacement des projecteurs halogènes. Installés il y a 15 ans pour faciliter le travail même par faible luminosité, ces projecteurs se sont avérés déclencher des incendies par la chaleur qu’ils produisaient. Ils sont depuis remplacés par des projecteurs de «lumière froide», fonctionnant par LED.
Vous apportez votre appui via des formations: dans le cadre des formations obligatoires déjà mentionnées, votre SPAA propose un cours consacré à la prévention des incendies dans les exploitations agricoles, intitulé «Au feu». Prévu sur un demi-jour, il alterne la théorie et la pratique, avec des démonstrations, l’utilisation d’un extincteur ou d’une couverture d’extinction.
Voilà, en Romandie on fait entre 15 et 20 formations complètes par année sur les sites des écoles d’agriculture. En revanche on ne peut pas obliger les exploitations familiales sans employé à y participer. Et elles ne le font pas, pour des questions de temps, d’argent… Alors que les autres y sont tenues, dans le cadre d’une cotisation annuelle de moins de 300 francs, qu’elles paient pour leur concept de sécurité, avec une demi-journée ou une journée de rappel obligatoire tous les trois ans. Mais soyons positifs: avec la campagne que nous démarrons cet automne, il n’y a pas de distinctions entre les exploitations, donc les informations et brochures seront accessibles à tous.
Suivront, dans le cadre de ce partenariat, des accents mis sur la foudre (50,7% des cas d’incendie selon les statistiques des dommages de l'UIR - Union intercantonale de réassurance), la combustion spontanée et l’inflammation des produits stockés, les travaux générant une forte chaleur, le broyage et hachage de la paille, les feux de cheminée, les installations et appareils électriques, les matériaux combustibles. Comment la thématique va-t-elle à chaque fois se matérialiser?
Il y aura une fiche thématique, voire une formation à part entière, le tout d’ici deux ans.
Toujours selon l’UIR, si l’évolution du nombre de cas annuels montre une tendance à la baisse depuis 2004, on constate une stagnation sur les 10 dernières années…
C’est vrai, et c’est un peu l’objectif de cette campagne de continuer de faire baisser ces chiffres. Il y a probablement encore un manque de contrôles. Je pense en particulier aux installations électriques, où l’on est en train de progresser. Le développement des panneaux solaires est à ce titre une bonne chose, puisqu’il oblige à faire appel à un électricien, et à revoir l’ensemble du dispositif de la ferme. Trop souvent les bâtiments avaient évolué sans que cet aspect ne soit révisé.
C’est une autre fondation, la fondation agriss, financée par la Confédération, et avec laquelle vous déménagerez à Grangeneuve (FR) à l’été 2026*, qui contrôle ensuite la mise en œuvre des mesures prévues dans ces exploitations avec main-d’œuvre extrafamiliale. Elle intervient un peu comme la Suva en ce qui concerne le contrôle de la sécurité dans les autres entreprises.
Oui, et ces visites permettent de garantir que la sécurité ne reste pas une simple formalité administrative, mais qu’elle se traduise par des actions concrètes et durables sur le terrain. On essaie de passer dans les entreprises formatrices tous les dix ans. Ce sont les commissions d’apprentissage des Cantons qui gèrent le suivi et transmettent au SPAA celles qui doivent être visitées. Nous, on emploie des agriculteurs et viticulteurs titulaires d’un brevet fédéral de spécialiste sécurité et santé au travail. Mais il faut avoir conscience qu’entre formations SPAA et contrôles agriss, nous ne sommes qu’une quarantaine de collaborateurs pour toute la Suisse. Et le SPAA doit trouver ses propres sources de financement, via d’autres mandats de formation auprès des communes, des cantons ou des entreprises, toujours dans les métiers «verts».
Les enjeux financiers sont aussi considérables, avec le risque de ne pas s’être assuré convenablement: il ne faut pas sous-estimer sa valeur assurée, et veiller à contracter une assurance complémentaire pour éviter de tomber dans des cas, sujets à interprétation, de «négligence grave».…
Oui, c’est un immense problème. Dans une exploitation agricole, souvent la marge de manœuvre financière est faible, et on est tenté de diminuer sa prime d’assurance, mais c’est un très mauvais calcul. Nous y avions consacré notre événement annuel il y a deux ans, avec le témoignage fort d’un agriculteur dont l’exploitation avait brûlé deux fois.
Cet événement est national, et même international avec des invités des régions voisines, pourquoi?
Pour profiter des réflexions menées dans le monde agricole, entre l’Allemagne, l’Italie du nord ou l’Alsace. Typiquement, nous avons développé ensemble une campagne pour la sécurité des enfants à la ferme, une autre pour la manipulation du bétail, et nous collaborons sur les travaux forestiers. Ça ne sert à rien de chercher à réinventer la roue chacun de son côté. Et c’est le CIPI qui finance les brochures suisses, grâce aux fameuses cotisations annuelles.
Justement, un mot, plus largement, sur la prévention des accidents: le secteur agricole, ce sont aussi 25 accidents mortels en 2024, comme en 2023, en Suisse. Et ce même s’il n’existe pas d’obligation de déclarer tous les accidents. A ce titre, l’agriculture est l’un des segments professionnels les plus exposés en matière de risques. Sur quels leviers d’améliorations travaillez-vous? Car tout est source de danger: les machines, la fatigue, les conditions météo, le stress…
On prend les thèmes les uns après les autres, aussi en fonction des sources de financement. Pour ce programme sur deux ans, ce sont les assurances de prévention incendie, qui ne sont pas obligatoires dans tous les cantons, qui ont mobilisé une enveloppe de plus de CHF 50'000. Mais on aimerait être davantage soutenus, que ce soit par les assurances ou par la Confédération. Des idées on en a plein, mais c’est le financement dans le domaine de la prévention qui fait défaut.
Etienne Arrivé/AGIR
*À partir de 2026, les locaux actuellement occupés par le SPAA et agriss, à l’école d’agriculture de Grange-Verney à Moudon (VD), seront réaffectés à la formation des apprentis, en attendant la mise en service d’un nouveau site vaudois prévue pour 2031. Mais le SPAA et agriss resteront alors à Grangeneuve (FR), où ils disposent d’infrastructures pour des formations pratiques.

