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Une nouvelle génération de paysans: la Suisse réforme la formation agricole
La Suisse s’apprête à moderniser l’un de ses plus anciens métiers. À partir de la rentrée 2026, les jeunes qui se forment au certificat fédéral de capacité (CFC) d’agriculteur ne suivront plus le même parcours qu’aujourd’hui. Le cursus comprendra deux années communes, et une troisième consacrée à une orientation. Avec, pour ceux qui le souhaitent, la possibilité de suivre une seconde orientation dans le cadre d’une quatrième année optionnelle. L’objectif: mieux coller à la diversité du pays et à l’évolution rapide du monde agricole.
"L’agriculture suisse est extrêmement variée", rappelle Loïc Bardet, président de l’OrTra AgriAliForm, l’organisation faîtière du champ professionnel agricole. "Entre un paysan du Plateau vaudois, cultivant une centaine d’hectares de céréales, et un autre du Toggenburg, qui élève dix vaches dans une vallée alpine, il y a un monde, même s’il s’agit du même métier. Il fallait donc une formation capable de refléter cette diversité."
Un système plus souple
La réforme, validée par le Secrétariat d’État à la formation, la recherche et l’innovation (SEFRI) au printemps 2025, proposera six orientations: grandes cultures, production bovine, production porcine, aviculture, production végétale biologique et économie alpestre. Les deux premières années de tronc commun conserveront l’enseignement généraliste – cultures végétales, élevage, mécanisation, base de gestion, environnement – avant une spécialisation en troisième année. Une quatrième année permettra d’ajouter une seconde orientation, par exemple en combinant la production bovine et l’agriculture de montagne.
"On a voulu garder un seul CFC agricole, mais offrir des voies adaptées aux réalités locales. Le nouveau système permet davantage de choix et d’adaptation, tout en préservant une base de compétences générales commune à tous les agriculteurs. La spécialisation permet ensuite d’affiner son parcours, qu’on ait déjà un projet précis ou qu’on le découvre en cours de formation", souligne Loïc Bardet
De nouvelles compétences pour une profession en mutation
Au-delà de la structure, le contenu de la formation évolue profondément. La réforme apporte un accent renforcé sur la durabilité, la gestion économique, la communication et les technologies numériques. Les apprentis apprendront à manier aussi bien la faucheuse que les outils de gestion de données. Le permis phytosanitaire, indispensable dès 2026 pour l’achat ou l’utilisation de produits phytosanitaires, sera également intégré au cursus. "La formation ne vise plus seulement à transmettre des savoir-faire techniques, mais à préparer les jeunes à la gestion complète d’une exploitation agricole", ajoute Loïc Bardet.
L’économie alpestre, un signal fort en faveur de la montagne
L’une des principales nouveautés est donc la création d’une orientation «économie alpestre et agriculture de montagne». L’idée a émergé d’un long processus de consultation, nourri d’ateliers réunissant écoles, maîtres d’apprentissage et organisations professionnelles. "Au départ, nous avions envisagé une option centrée sur les petits ruminants", explique le président d’AgriAliForm. "Mais l’idée a évolué vers une approche plus large, englobant la réalité de la montagne."
Cette voie s’adresse d’abord aux jeunes issus des régions d’altitude, mais elle reste ouverte à tous. Elle pourra également s’avérer intéressante pour les apprentis de la plaine dont la famille exploite un alpage. "C’est une orientation qui tient également compte du fait qu’une bonne partie des exploitations d’altitude fonctionnent à temps partiel, et qu’elles doivent souvent se diversifier", ajoute encore Loïc Bardet. Parmi les thèmes qui seront abordés: la gestion des alpages, la transformation de produits, la vente directe ou encore l’agritourisme – des domaines clés pour la survie économique des zones de montagne.
Une offre limitée, mais une portée symbolique
Toutes les écoles ne proposeront pas cette option, pour des raisons d’effectifs et de moyens "En Suisse romande, par exemple, nous estimons qu’il n’y aura probablement qu’une à deux écoles qui la mettront en place; il n’y aurait pas de sens à former trois élèves dans trois établissements différents", constate Loïc Bardet. Le système suisse offre néanmoins une grande mobilité: un apprenti pourra effectuer sa troisième année dans un autre canton si nécessaire.
Cette orientation revêt également une portée symbolique forte, en mettant l'accent sur un secteur souvent considéré comme fragile. "Dans certaines vallées du Tessin, on voit ce qu’il se passe quand l’agriculture disparaît: plus d’activité, plus d’habitants. Créer une formation spécifique, c’est reconnaître le rôle vital de ces territoires."
Former pour résister aux défis du climat
La reconnaissance n’efface pas les difficultés de l’agriculture de montagne: revenus plus bas, conditions plus rudes, adaptation au changement climatique. "Le réchauffement accentue les contraintes dans les Alpes", rappelle Loïc Bardet. "Cela affecte la disponibilité en eau, la végétation, les périodes de pâturage." Des mutations qui imposent une adaptation constante, autant technique que sociale.
Quant aux débouchés, ils évoluent. Les sociétés d’alpages recherchent des gérants ou des employés pour la saison d’été; certaines exploitations familiales peinent à trouver la relève. "Pour un jeune sans domaine familial, cette voie peut ouvrir des perspectives d’emploi ou de reprise d’exploitation."
Une montagne moderne
Cela étant, l’économie alpestre n’a rien du monde fantasmé d’Heidi. "L’objectif de cette nouvelle orientation n’est pas de ressusciter un folklore montagnard, mais de traduire, au contraire, une évolution du métier", explique Loïc Bardet. "Ce n’est pas un retour en arrière, c’est une adaptation aux réalités de la montagne d’aujourd’hui, marquée par le manque de main-d’œuvre, les contraintes climatiques, la pression accrue des grands prédateurs et l’arrivée progressive de nouvelles technologies. Alors, effectivement, certaines zones ne sont pas couvertes par la 5G, mais la technologie progresse. Des drones peuvent déjà remplacer certains traitements mécaniques en terrain difficile", ajoute-t-il.
Autrement dit, former des jeunes capables de conjuguer savoir-faire traditionnel, innovation et gestion durable devient une nécessité pour maintenir une montagne vivante.
Pascale Bieri/AGIR

